Un an

Ce post va parler d'épisio, de forceps, et de liquide amniotique qui coule du vagin. Donc j'ai envie de vous dire "fuyez, pauvres fous". Sauf si vous êtes maman, papa, sage-femme ou gynéco, dans ce cas vous devriez réussir à encaisser le choc.

Voici l'histoire de mon accouchement.


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Tout a commencé le dimanche 30 novembre 2014. D'ailleurs, si vous avez raté le prologue, session de rattrapage ici. Je reprends où j'en étais. J'ai fini mon selfie, le mari me somme de le suivre, quelle idée de faire un selfie, y a vraiment que toi pour faire un selfie en train de perdre les eaux (je suis pas d'accord, doit bien y en avoir d'autres des mams comme moi, big up Kim Kardashian), le sac pour la salle d'accouchement c'est bon, la valise pour la maternité c'est bon, la boîte à papa, oui elle est cachée dans la valise, ok, go, on y va.
On prend ce chemin que l'on a déjà emprunté 100 fois, toutes les fois où j'avais une consultation, une écho à passer, un faux travail à faire contrôler. Ce soir, ce chemin est bien plus serein. J'ai un sourire greffé sur mon visage et une hâte : arriver. On écoute Counting Stars à la radio, le mari conduit vite, trop vite, slalome partout. Ce soir, je ne ferai pas ma relou, je ne dirai rien. On est le 1er décembre, je regarde par la fenêtre. Les arbres, la lune, la marne qui scintille dans la nuit. Tout est beau en cet instant. Je suis bien.
Quand on arrive à la maternité, j ai l'impression que l'intégralité du liquide amniotique est en train de se dérober sous moi. Je m'étonne de l'incroyable efficacité de mes alliés de la marque Ténia.
On s'annonce dans l'interphone. Pour une fois, je n'ai pas besoin de justifier mes contractions toutes les 5 minutes depuis 2 heures, non madame, j'ai perdu les eaux moi, j'accouche, c'est officiel, vous me gardez  !
On m'allonge, on m'examine, encore, on me fait tousser et là, phrase magique "oui, ok, c'est bon, on vous installe".
Je suis la plus heureuse.
Pose de monito, briefing, vous savez, c'est le premier, on a encore le temps, allez vous installer dans votre chambre, que ça travaille doucement, et quand ça devient plus douloureux, vous descendez. Direction la chambre, je flotte gaiement sur un petit nuage, on dépose nos affaires rapidos, je file sous une douche brûlante pour détendre les contractions, je me regarde dans le miroir, c'est fou comme mon ventre est énorme, c'est la dernière fois que je le vois comme ça, je suis massive, mais en cet instant je trouve mon corps magnifique et je lui suis reconnaissante d'avoir porté mon bébé 39 semaines et 5 jours.
2 minutes plus tard, je suis nettement moins calme, les contractions passent de supportables à littéralement insoutenables. Je sors pliée en deux et me rhabille en vitesse, on descend, tout de suite. Je passe en salle de pré-travail.
Ces instants-là sont les plus douloureux de toute mon existence.
A chaque contraction, je me contorsionne dans tous les sens, aucune position ne soulage cette torture, j'en perds la tête, le mari est désemparé, les sages-femmes tentent de me calmer, respirez, lentement, prenez une grande inspiration madame, j'arrive pas, j'essaie de suivre leurs conseils, voilà, voilà, elles répètent "voilà" comme si tout allait mieux, pourtant c'est toujours aussi horrible, je souffle mais je n'en peux plus.
Je sais qu'elles voulaient attendre encore un peu pour la péri. Mais il est 4 heures du matin et je la veux. Maintenant.

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Faites le dos rond.

Clic! Voilà, c'est bon, très bien madame.

Celle-là, elle ne m'a pas traumatisée. Tout va aller mieux.
Salle de travail.
Je suis allongée, monito à gauche, mari en face. La sage-femme passe toutes les heures, mentionne les contractions que je ne sens absolument plus. Je plane littéralement. C'est magique. Le soleil se lève, il commence à faire jour.  Je ne me suis jamais sentie aussi détendue et aussi calme. Apaisée. On dort un peu. Entre chacun des passages de la sage-femme, le mari et moi, on ferme les yeux, on attend, sereins.
8 heures, le travail ne va "pas assez vite". Perfusion d'ocytocine. Si vous le dites.
10 heures, ça avance beaucoup mieux.
11 heures, je ressens à nouveau. Nouvelle dose de péridurale. Sans effet.
Midi. Ça pousse.
-Vous avez suivi les cours de préparation?
-Oui.
-Parfait. Parce que c'est maintenant.

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Les 45 minutes qui ont suivi se résument à beaucoup de sueur, une poussée toutes les 2 minutes, les encouragements des sages-femmes, une main serrée par le mari, son regard à la fois déterminé et réconfortant, et bien que j'eusse toujours pensé que ce ne serait pas le cas, des cris, beaucoup de cris, pour me donner de la force, comme les guerriers (ou les All Blacks), un cri pour extérioriser tout ce que je demande à mon corps d'accomplir. Le mari ose me dire "allez, la prochaine c'est la bonne". Je lui demande ce qu'il en sait. Je veux que les sages-femmes me le disent, elles, elles savent. Et comme je le redoutais, elle ne le diront pas.
Je sais parce que j'ai regardé toutes les saisons de Baby-boom qu'au bout de 30 minutes de poussée, on appelle les médecins.
Je sais aussi que j'ai failli être déclenchée car mon bébé est au-dessus des courbes. Bref, je sens, même sans montre, que ça fait plus de 30 minutes que je donne tout, que les sages-femmes me disent que je m'en sors bien, mais que ce bébé n'est toujours pas là, et que c'est mauvais signe.
On va appeler un médecin. Un premier, un homme au cheveux hirsutes et à l'air sympathique déboule dans sa blouse blanche. Visiblement pas stressé le moins du monde. Bon madame, il va falloir pousser. On est débordés, y a pas de place en césa. Il est sérieux ce gros con ? Il a cru que je jouais aux dominos depuis tout à l'heure ? Le rythme est bon, le bébé supporte, pas d'urgence de notre côté. Je vous emmerde, vous m'entendez? Je vous emmerde. Tous autant que vous êtes. Faites-le sortir, débrouillez-vous.
C'est reparti, poussez, madame. Comme vous l'avez lu plus haut, la péri ne fait presque plus effet. Je ressens chaque contraction, chaque poussée. Je sens tout.
Là, mon petit cauchemar personnel commence. Un nouveau médecin fait son entrée, une femme, en tenue de ville. Je saurais un peu plus tard qu'elle n'était pas en service et qu'elle a prêté main forte à son équipe. En gros, elle venait boire un petit café et elle se retrouve avec moi. Bonjour !
Tentative de ventouse. Echec total. J'entends des bruits de métal et de sachet plastique. Ça y est. Tout ce que je redoutais va donc arriver. Après plus d'une heure de poussée, je n'échappe ni aux forceps, ni à l'épisio. Avec une moitié de péridurale en fonction. Je sens chaque geste et honnêtement, ces quelques secondes-là, je crois que mon heure a sonné. Le seul truc qui m'obsède, c'est de me demander "Si je meurs, est-ce que mon bébé survivra ?".

Alors que je n'y crois plus, je les entends parler. "Stoooop, arrêtez, ne poussez plus, ne poussez plus". La pièce est soudain calme. Il flotte quelque chose de bizarre dans l'air. Un apaisement. Je ne percute pas. Je lève la tête et je le vois. Mon fils. On me le tend, je le prends contre moi, sans vraiment réaliser. Je ne pense plus à rien, mes inquiétudes s'envolent, j'ai survécu à cette putain d'épisio, j'étais dans un état second mais je n'avais jamais été en danger, il est magnifique, là, parmi nous, il respire, moi aussi, la vie peut commencer. Oui, cette nouvelle vie va commencer maintenant, avec lui. Je suis au nirvana. "Mon bébé". Je l'enlace et fais un bisou sur son front tout sale.
Comme si le cours du temps s'était arrêté quelques secondes, il reprend à l'instant où j'entends "Monsieur, allongez-vous !". Le mari est tout blanc, bouleversé, transporté par ce moment de magie. "Allongez-vous!" lui hurle le personnel. Il dit que ça va, insiste pour s'assoir, mais devant leur autorité, finit par s'allonger par terre à côté de mon lit, les yeux pleins de larmes de joie.
On reprend vite (trop vite) mon petit Aaron pour l'examiner dans une autre pièce. Il est 13h23.

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Quelques minutes plus tard, il est de retour. Tout va bien. Il est resté engagé longtemps dans le bassin mais il a bien tenu le coup. On le pèse. Roulement de tambour. 4,1 kg. Dans ma tête je me dis que je le savais. J'étais sûre qu'il ferait plus de 4kg. On avait failli me déclencher à 38 SA à cause de ça.
Taille : 53cm. Le lendemain on me dira 52, et du coup, on ne saura jamais exactement. Cette naissance un peu spéciale me prive des traditionnels peau à peau et de la "tétée de bienvenue" dont on m'avait parlé, à moi qui ne souhaitait pas allaiter. Le papa n'a pas eu l'opportunité de couper le cordon. Tant pis. Chaque accouchement est différent. Il va bien. C'est le principal.

Je vous épargne la délivrance, qui a -évidemment- duré plus de 30 minutes avec un placenta qui n'avait pas envie de se barrer et un recours au gaz hilarant pour me soulager. Je voulais à tout prix voir le placenta, mais on l'a débarrassé avant que je n'ai eu le temps d'assouvir ma curiosité perverse, et en plein trip, je me souviens vaguement avoir parlé au médecin des Reines du Shopping et de Cristina Cordula. On faisait quelques points de suture et moi j'avais regardé l'émission pendant tout mon congé mat'. Logique.

Aaron est juste à côté. Parfait. Il dort. Tout calme dans son berceau en plexi. Avec son mini bonnet, son pyjama et un petit air renfrogné qui me fait craquer. Je l'admire. Il a la tête de son père. Surtout sa bouche en coeur. Petit veinard. Est-ce que tu sais qu'à partir de maintenant, la vie ce sera nous trois et rien d'autre ?

On ne se connait pas encore. Mais je te promets que tu n'as pas galéré pendant plus d'une heure et demie alors que les césariennes étaient débordées pour ne pas aimer la vie.
On va vivre ensemble.
S'aimer, pleurer.
On dansera sous la pluie, on admirera les couchers de soleil, on fera des châteaux de sable et des batailles d'eau, on lèchera la cuillère en bois du gâteau au chocolat, on regardera le Roi Lion 10 fois de suite, on dormira ensemble quand tu n'arriveras pas à faire tes nuits, on s'en fichera des gens qui disent que c'est pas bien, parce qu'après tout, qui sont-ils pour savoir de quoi on a besoin, on se câlinera tous les matins et on lira des histoires tous les soirs, on fera des parties de cache-cache et on soufflera ensemble chaque nouvelle bougie, en se demandant où est passé le temps. Tout ça, tant que la vie nous le permettra.

Voilà, ta première bougie c'est demain.

Tu sais je suis tombée amoureuse de toi quand j'ai vu "enceinte" sur le test de grossesse, quand tu m'as donné ton premier coup de pied, quand j'ai entendu ton coeur battre à l'échographie, et quand on t'as enfin posé sur moi, le 1er décembre, à 13h23.
Maintenant, tu es mon petit râleur, qui nous fait des moues boudeuses quand on refuse de lui donner la télécommande et qui se sert de nous pour se déplacer dans la maison en réclamant les bras. Tu souris tout le temps et à tout le monde, tu comprends quand on te dit d'enlever ta tétine et de vider ton bain, tu ris aux éclats à nos blagues nulles, tu te blottis contre nous quand on dit "câlin", et parfois, quand tu te réveilles de ta sieste, tu joues sagement dans ton lit en attendant qu'on vienne te chercher. Ca nous fait particulièrement craquer, alors on jette un oeil dans l'entrebâillement de la porte, et on te voit jouer tout seul avec ta gigoteuse qui t'encombre un peu.

Un an.

Je t'aime plus que tu ne le sauras jamais. J'ai hâte de voir ce que nous réserve cette nouvelle année ensemble.

Tu as changé mon monde, Aaron.

Joyeux anniversaire.





Commentaires

Unknown a dit…
Magnifique article comme toujours. Le miens à eu un an il y a deux semaines 😊
Décidément j'adore te lire, et j'attends toujours avec impatience tes nouveaux articles.
Un joyeux anniversaire à ton beau petit prince Aaron
Unknown a dit…
Superbe..tout est si bien dit...et meme si je doit accoucher dans 1mois meme pas peur des mots "forceps " episio liquide amnio...car ce qui suit apres a lair merveilleux ♥ @elo.gely
Unknown a dit…
Superbe..tout est si bien dit...et meme si je doit accoucher dans 1mois meme pas peur des mots "forceps " episio liquide amnio...car ce qui suit apres a lair merveilleux ♥ @elo.gely
elisa a dit…
je découvre ton blog avec ce billet et je suis au bord des larmes après ce récit...c'est dur mais c'est beau. normalement dans 3 mois pour moi, ça devrait donc me faire peur mais au final non, je m'accroche à la fin de ton récit :)
Fanny a dit…
Bravo pour ton écriture accrochante. Ce joli récit, me fait penser au mieux sans l'accouchement musclé, le 28 novembre dernier. Que du bonheur.... bonne continuation pour cette 2ème année à Aaron :-)
Joanna a dit…
Magnifique blog je suis complètement fan beaucoup de sensibilité et de sincérité dans tout tes textes
cynthia a dit…
Bravo pour cet article qui est autant rigolo qu'émouvant.
Je me languis de pouvoir vivre toutes ces émotions, toutes ces choses que tu décris si bien et avec tant d'amour.

Merci de me redonner le sourire, alors que je me vois grossir et que pour le moment je ne "kiffe" pas être enceinte.

Ca vaut le coup de kiffer même ce qui nous semble compliqué juste pour pouvoir se rappeler.

Xoxo
Mathilde a dit…
Alors là.. Les mots me manquent.
Magnifique récit.
J'ai accouché par césarienne en urgence. Je n'avais pas une seule seconde imaginé cette hypothèse. Cela va faire un an le 21 Mars, il aura fallu du temps pour que je "digère". Quand je lis ce récit, je me rend compte que tu as toi aussi loupé les étapes du peau à peau et autres mais que l'important oui, c'est qu'il se porte bien. J'ai idéalisé un accouchement par voie basse mais je me dis maintenant .. Peu importe la porte de sortie que mon fils à emprunter, il est là et c'est là meilleure chose qu'il soit.
J'ai lu chacun de tes articles. À chaque fois je me reconnais. Tu as une facilité à manier les mots. Merci, merci pour ces partages qui réconfortent toujours un peu dans notre rôle de maman.

Je suis également née le 1er décembre également petit clin d'œil à ton ourson chéri !

Affectueusement,
Anonyme a dit…
J'ai eu le droit à la même chose que toi, la ventouse pour rigoler et les forceps sauf que moi elle ne respirait plus alors ils me l'ont posé et l'ont emmené immédiatement, je n'ai plus vécu pendant 10 minutes et hop elle allait mieux... ça m'a rappelé des souvenirs ! Merci pour cet article. Insta : melle.mymy
Delphine Maarek a dit…
Merci à toutes pour vos commentaires, plus réconfortants et adorables les uns que les autres. J'en suis très touchée !