Tu sais, ça repousse

Il y a trois jours, j'ai coupé 20 cm de cheveux. Je m'allonge sur le divan pour tout expliquer ?

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Paris,
Ce matin je me suis fait des couettes. Chemin de retour du collège, il pleuviote dehors. Je marche tranquillement sous le crachin, avec le pas monotone des enfants, quand je la vois. Je souris, je me mets à courir vers elle. Arrivée à sa hauteur, je regrette déjà ma course. "Ah mais c'est quoi ces cheveux! Je te voyais au loin, c'est l'horreur ! On dirait un chien mouillé. C'est pas possible. On va devoir les couper, hein. Bon, rentre."
Je monte les escaliers et j'ai peur. Je ne veux pas les couper. Je m'en veux de ne pas avoir pensé à refaire mes couettes avant, je suis trop con, j'aurai pu réarranger tout ça, que ce soit un peu coiffé et moins moche. Elle dégaine son sèche cheveux, une brosse à pics rigides, me dit de m'assoir sur le pouf et elle me les sèche comme une folle, en arrachant les noeuds sur son passage. J'ai l'impression que tous ses nerfs se vengent sur la brosse et mes cheveux insolents de laideur. Ça tire horriblement mais je ne veux pas les couper. Je retiens mes larmes."Ah non... franchement, quand je te vois comme ça je n'ai qu'une envie, c'est tout couper et te faire un carré !" 
Je suis terrifiée. Pourtant, j'y échappe.
Cette fois.

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Neuilly
Avoir 14 ans, des boutons et la peau grasse. Être la plus moche de sa classe.
Mes parents ont divorcé. Aujourd'hui j'ai rendez vous chez le coiffeur avenue du Roule, juste à côté de Lenôtre. C'est chic comme rendez-vous. Tout est chic ici d'ailleurs. Les femmes de 40 ans sont aussi belles que leur fille, les gens portent des marques que je ne connaissais même pas, ma classe est peuplée de gravures de mode. Mais aujourd'hui, les petites ondulations que j'ai peiné à faire pousser vont disparaître d'un coup de ciseau.
"C'est pas possible, j'en ai ras le bol de tes cheveux".
Objet du crime : ondulés, super épais, volumineux. "Ils sont mousseux. Il faudrait te faire des brushings tous les jours.". Voilà. C'est moche, allez hop, un carré court et on en parle plus.
Court, sur du mousseux. C'est une idée.
Le coiffeur a fini sa tâche. Il m'invite à m'assoir dans un petit coin en l'attendant. Il me regarde avec un air désolé. Ca va mademoiselle ? Je n'ai même pas le cœur d'être polie. Je m'en veux, normalement j'aurais fait semblant, j'aurais souri. Mais là, j'arrive pas, je suis dégoûtée, alors je murmure un petit oui et je regarde mes chaussures. Est-ce qu'il a compris ? Pourquoi il lui a rien dit ? Si seulement il avait pu faire une remarque, elle aurait peut être changé d'avis, rien que par honte vis-à-vis de lui ?
Trop tard.
Je passerai la soirée à tenter des coiffures différentes devant mon lavabo, voir ce que la longueur qu'on m'a laissée m'autorise. Des couettes encore. Deux minuscules couettes. J'appellerai ma meilleure amie pour lui dire que je suis sauvée, enfin sauvée, c est un grand mot mais je peux au moins faire ça, en attendant que ça repousse, c'est cool quand même, non ?
L'estime de soi, on repassera. Il me reste mes copines et une promesse. Je ne les couperai plus jamais.

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J'ai passé les 12 années qui ont suivi à les faire pousser. Mes cheveux, mon obsession. Toujours plus longs, une religion. Je ne suis jamais allée chez le coiffeur me faire une coupe. Parfois 2 cm après un balayage. 90% du temps je l'ai fait seule, dans ma salle de bain, avec les ciseaux de la cuisine. L'odeur des salons me donne une mini-nausée. Un pincement. Ne coupez rien, on garde la longueur. Surtout ne coupez rien, vous avez compris ?

Jusqu'à maintenant. Il y a trois jours, je les ai coupés (moi-même hein, faut pas pousser, le coiffeur ce sera pour la prochaine fois, quoiqu'à force, je m'en sors hyper bien, une vraie pro). Je les ai coupés sous l'épaule, et c'est moi qui l'ai voulu. Je n'ai plus peur, je ne suis plus obsédée.

On peut penser que ce n'est qu'une histoire de cheveux. Ce serait trop facile. Vous connaissez le concept de partie immergée de l'iceberg, toussa ? Peut-être que ce n'était pas qu'une simple histoire de cheveux. Que c'est surtout l'histoire d'une mère et d'une fille.
Et qu'il est temps de la regarder en face cette histoire, surtout maintenant que je suis maman.
Parce que quand je vois Aaron, ce dont je suis sûre, c'est que jamais, jamais je ne lui ferai du mal. Même s'il a des cheveux pourris, même s'il est trop grand, trop maigre, insolent, colérique. Même s'il va en prison, même s'il devient bouddhiste.
Mon fils, ma chair, mon sang. Jamais je ne l'abandonnerai.

Voilà. Je referme cette page du journal intime parfumé à la vanille, celui que certaines mères vont lire dans le dos de leur enfant.

J'adore mes nouveaux cheveux. Bisous.








Commentaires

AmandineSK a dit…
T'es textes sont toujours parfaits et très touchants! Un peu la même histoire de mon côté mais bébé à eu raison de mes craintes ;-)