Le jour d'après

(Si vous avez manqué l'article sur l'accouchement, et que vous êtes bien sûrs de vouloir le lire, c'est par là >> UN AN)

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Il est donc là. A ma droite, dans son berceau transparent. Il ferme les yeux et il a un petit air renfrogné. Je me demandais tellement à quoi il ressemblerait. A qui. Je peux enfin le contempler, et il ressemble exactement à ce que j'avais imaginé. Un nez rond, la bouche en coeur de son père, les yeux en amandes. Je me souviens qu'un ami en le voyant nous dira presque en riant "ah oui c'est le vôtre, je l'aurai vu sans le savoir que j'aurai deviné. C'est vous, c'est juste votre tête, à tous les deux".

Les médecins ont déserté la salle d'accouchement, on est tous les trois. Et c'est suffisant. C'est parfait. On hallucine, on répète dix fois qu'il est trop mignon, on le quitte pas des yeux. La réalité vient nous frapper quelques minutes plus tard. Un mec de l'hosto -je le qualifierai uniquement de cette manière, y a pas d'autre mot, je sais même pas d'où il sortait- se pointe et me somme de remonter dans ma chambre. Il fait rouler jusqu'à mon lit un fauteuil roulant, et attend. Limite en tapant du pied. Médusée, je prends quelques secondes pour me redresser et j'ai tout le mal du monde à me lever et m'assoir sur ce fauteuil. Y a 30 minutes à peine on terminait ma charmante épisio, et voilà qu'on m'ordonne de quitter les lieux sans ménagement. Ce con s'impatiente, moi aussi, et puis je fais profil bas, le mari nous aide, ouvre toute les portes, je ne sais plus qui pousse Aaron, mais ce dont je me souviens c'est que le mec de l'hosto heurte le berceau un moment donné et que si mes yeux avaient été des mitraillettes, le mec serait en confettis. Oui, c'est ça, au revoir monsieur.

La suite ? Des visites. Des paires d'yeux qui pétillent. 4,1kg qui ont changé la face du monde, qui sont devenus un soleil, autour duquel ma petite chambre de la maternité de Saint Maurice gravite désormais. Les grands-parents, qui sont grands-parents pour la première fois. Les tontons et tatas, même tarif. Des sourires un peu gauches. Ces sourires aux sourcils froncés, derrière lesquels on devine les larmes de joie. Les plus beaux d'après moi.
Ma famille entière, qui se propose pour me commander les sushis dont j'ai rêvé depuis 39 semaines et 5 jours au moment où arrive mon triste plateau-repas et que mon regard doit sûrement en dire long.
Lui. Mon tout-petit. Qui mange déjà comme un glouton, dort, fait des mignons bruits super aigus. Fan de "Game of Thrones" je lui dis qu'il me fait penser à un petit dragon.
Un peu traumatisée bouleversée, je raconte mon accouchement en détail à tous mes proches pour exorciser.
Pendant deux jours, on regardera les 12 coups de midi, à midi, et le mari dormira sur un cube dépliant, pour rester avec moi. Avec nous. Les aides-soignantes nous apprendront les gestes, le mystérieux méconium, comment donner un bain, et remplir le tableau des biberons. Elles me demanderont de me lever par étapes, en douceur, me répèteront que je dois me rallonger si je vois des étoiles. Je repenserai avec révolte au mec de l'hosto. Je saurai qu'Aaron est de rhésus positif alors que moi je suis négatif, on passera par le Rhophylac. La glycémie d'Aaron nous jouera quelques tours. Un mercredi matin, sacs bouclés, valises fermée, chambre vide, prête à décoller avec mon nounours sous le bras, on m'annoncera que je dois rester un jour de plus. La seule nuit où le mari dormira loin de nous et qu'Aaron se réveillera et pleurera entre le biberon de 4h00 et le biberon de 8h00. Cette nuit-là, je me demanderai pourquoi personne ne vient m'aider, me guider. Je me poserai mille question sur ces pleurs. Je finirai par appuyer sur le bouton rouge, une auxiliaire viendra l'emmailloter et caler sa tétine contre la couverture, je trouverai qu'il n'a pas l'air bien, et dès qu'elle sera partie, je déferai tout, pour le bercer dans mes bras jusqu'à ce qu'il s'endorme et que je découvre ce qu'est l'instinct maternel. Je découvrirai aussi cette histoire de "coliques". Celles qui, je ne le sais pas encore, continueront quelques semaines, jusqu'au plus dur, le pic entre la 6ème et la 8ème semaine de vie, un pic qui me marquera au fer rouge. Et puis la vie continuera, cette vie avec ce nouvelle être, un de plus sur 7 milliards, mais un qui compte plus que tous les autres, qui nous fera lever la nuit, verser mille larmes de bonheur, éclater de rire, nous impressionnera parce qu'il s'est retourné, a rampé, s'est levé sur ses jambes, marché le long des murs, dit maman, et craché sa tétine quand je lui ai dit "enlève ta tétine".
13 mois de Zyma Duo, 3 gouttes le matin.
13 mois de goupillons et de biberons à laver.
13 mois à rechercher dans quel trou magique de la maison les tétines disparaissent.

Quand j'ai enfin quitté la maternité, que je me suis assise sur la banquette arrière à côté de la nacelle parce que j'avais peur de me mettre à l'avant et ne pas bien le voir, que l'on a stationné en double-file pour me chercher un panini à la boulangerie, qu'on est arrivé chez nous, avec notre bébé, pour la première fois, et qu'on s'est regardé, il s'est passé quelque chose. Un truc magique, qui flotte dans l'air, que l'on ne peut pas décrire, mais que l'on ressent, et qui nous explose au visage. Vous connaissez la fameuse expression, le premier jour du reste de notre vie. C'était sûrement ça. On a échangé un regard sans dire un mot. Voilà, on était trois. Et on n'avait pas besoin de mots.
On l'a mis dans son couffin en osier. Le couffin que j'avais tellement contemplé en l'attendant. Il dormait, l'air d'un ange. La maison était silencieuse. Ni musique, ni télé, juste le vent, dehors, par ce matin de décembre. Je l'ai pris en photo et les larmes ont coulé comme une rivière, juste en le regardant. Tellement émue, tellement heureuse. Je suis maman.
Je lui ai fait la promesse de ne jamais l'abandonner, de ne jamais rien placer entre nous, et de toujours le laisser appuyer sur le bouton dans un ascenseur.
On est une famille, maintenant et à jamais. Je l'ai promis un jour à son père, jusqu'à ce que la mort nous sépare. Je lui promets, à lui aussi.

J'ai cliqué sur le déclencheur, essuyé mes larmes, mangé mon panini steak haché-mozzarella, et pris rendez-vous avec la sage-femme à domicile.
La vie reprenait. Mais la vie commençait enfin.

Je ne me doutais même pas à quel point.


Ah, oui au fait. C'est celle-là, la photo.

© Ourson Chéri



Commentaires

Melamoureuse a dit…
Quel bel article ! Un article rempli d'amour et de sincérité, comme je les aime.
Et les larmes qui me montent aux yeux au fil de ma lecture...
Unknown a dit…
C'est magnifique, j'ai été émue puis énervée et j'ai même rigolé en lisant cet article! J'ai eu un peu de jalousie aussi à la vue de certain moment que je n'ai pas vraiment eu... En tout cas tu as su me transmettre bien des émotions en quelques lignes ❤️ Merci de partager ça avec nous, Ca n'a pas de prix. Lucie
Delphine Maarek a dit…
Merci Melamoureuse, ca me fait très plaisir ! :)
Delphine Maarek a dit…
Merci Lucie ! Plein de bisous
cynthia a dit…
Très bel article rempli d'amour.
Tu as un don pour manier la plume, tu m'as fait passé par plein d'émotions différentes et j'ai même réussi à lisant ton article à me projeter dans 5 mois... :)

Merci
Xoxo
Unknown a dit…
Les larmes aux yeux... très bel article! J ai découvert votre blog grâce à vos look mère-fils sur instagram (que j adoooore). mais tous vos autres articles valent vraiment le détour! :)