Armé d'amour
S'exposer sur un blog et à travers les réseaux sociaux relève presque du masochisme pour quelqu'un comme moi. Je me rends compte chaque jour comme l'image que l'on diffuse peut être éloignée de la réalité. Tous ces selfies, juste pour guérir.
Quand je reçois un compliment, la vraie Delphine ricane intérieurement. Elle vous a joué un tour, vous êtes tombés dans le panneau. Mais je finirai presque par vous croire, à la fin. Merci quand même.
Je suis une arnaque.
Les bagues, en haut et en bas, l'appareil de nuit, les boutons, les cheveux mal coiffés et trop courts, les cernes, les sourcils pas dessinés, tout ça, c'est moi.
J'avais un rêve, c'était cette fille au teint parfait, à la crinière soyeuse qui sèche naturellement sans lisseur, au nez retroussé, à la beauté stupéfiante. Même en cours de sport, même le dimanche, même au réveil.
J'ai pris des baffes. Pas au sens littéral du terme. Pire. Les réflexions, les regards, les ricanements quand on passe dans le couloir.
J'habitais en face du lycée et quand j'avais fini les cours, si on m'envoyait "faire une course au Franprix" je scrutais immédiatement l'heure qu'il était. Soit j'avais de la chance, c'était une heure creuse. Soit je n'avais pas de chance et je savais qu'en allant chercher cette plaque de beurre, je tomberais sur la sortie d'une autre classe, tous sur le trottoir d'en face. Un cauchemar.
De toute ma scolarité, je n'ai jamais osé me présenter comme déléguée, parce qu'avec ma côte de popularité, je me serais retrouvée avec une voix, la mienne, et j'avais moyennement envie d'affronter cette déception.
Une fois, l'une des plus jolies filles de ma classe a sorti un petit miroir de son sac Eastpack, et a jeté un coup d'oeil discret quand le prof ne regardait pas. J'étais fascinée par la facilité de sa vie. Je n'aurais jamais pu le faire. J'aurais été horrifiée et déprimée. A ce moment-là, je me suis dit que si un jour, j'arrivais à me regarder dans un miroir, comme ça, de jour, devant tout le monde, sans stresser, juste pour vérifier un truc, j'aurais enfin réussi à avoir confiance en moi.
A la place, je suis devenue cynique et sarcastique, comme tous les gens complexés. J'ai perdu toute once de naïveté à 14 ans et je suis devenue intraitable avec les gens naïfs, que je trouvais souvent très bêtes et que j'enviais aussi, un peu, d'avoir le droit d'être innocents et naturels comme ils étaient, alors que moi je devais devenir quelqu'un d'autre pour plaire au reste du monde.
J'ai grandi. Je me suis fait des copines qui m'ont servi d'armure. J'ai découvert le cinéma, la musique, et tout ce qui me permettait de m'évader. Je suis devenue fan du Seigneur des anneaux, j'ai même commandé l'anneau authentique via mon magazine préférée, One, qui ne doit plus exister. Je dansais sur les albums de Britney et je m'endormais avec Difool et Romano, dans ma petite chambre de bonne de Neuilly-sur-Seine, en découvrant les problèmes de coeur et de cul de toute la France. Je n'avais jamais eu de copain, alors j'adorais. Et puis un jour j'ai écouté une chanson américaine entraînante, du genre qui donne envie de devenir un winner. Après plusieurs années de galère et la découverte miraculeuse de l'auto-bronzant, j'ai commencé à "m'arranger", comme on dit des filles pas terribles qui deviennent potables. Un moment donné je me suis tellement arrangée que j'ai eu un copain. Et je suis devenue officiellement une fille normale. Preuve ultime, cette année-là j'étais bien sur la photo de classe.
--
Cette histoire c'est la mienne, et même si elle m'a marquée à vie, je ne la changerais pas. D'ailleurs je suis sûre que je n'aurais rien à raconter sur un blog si tout avait été plus simple. Ça a été compliqué. Tant mieux.
Aujourd'hui je suis exactement la même personne. J'ai osé recouper mes cheveux, j'ai eu un bébé, je suis moins cynique, plus sage, j'ai moins de boutons, et un sourire sans ferraille, mais je suis la même. Tout au fond. J'espère qu'Aaron ne vivra jamais tout ça, ces angoisses, ces peurs, dont je viens de taire la moitié parce que je n'ose même pas tout déballer, si vous saviez. Un peu de pudeur, merde. L'ancienne cynique en moi trouverait déjà tout ça pathétique.
J'espère pour Aaron que continuera cette mode ridicule et adorable de s'envoyer des fleurs grosses comme nous sur Facebook et ailleurs, de type "Je t'aime ma vie" ou "T'es le plus beau". C'est merveilleux. Je n'ai jamais vu autant de bienveillance et de gentillesse sur les réseaux sociaux. Moi, à l'époque où skyblog avait commencé, je lisais, honteuse, derrière mon ordinateur, les commentaires méchants que les gens faisaient sur mon nez. Alors quand je vois les douceurs que "les petits jeunes" s'envoient aujourd'hui, je ne peux que saluer.
Quoiqu'il arrive, je ne pourrais pas empêcher les gamins d'être cons et méchants. Je ne pourrais pas toujours protéger mon fils des moqueries et des abrutis.
Même si rien qu'à l'idée que quelqu'un puisse le blesser, j'ai des envies de meurtre. La pensée qu'il puisse être triste ou angoissé à cause d'autres personnes, mon coeur se brise en mille morceaux.
Je ne peux pas tout contrôler. Mais il y a bien quelque chose que je peux essayer de lui donner comme arme. L'amour-propre. Le valoriser, même s'il a des boutons et la peau grasse. Lui donner assez confiance en lui pour qu'il ne doute jamais de sa personne, qu'il s'aime assez pour me dire un jour si quelqu'un lui fait du mal. Ce ne suffira peut être pas. Mais ça ne sera jamais de trop.
J'ai mon histoire et je vis avec.
La sienne, je voudrais l'aider à l'écrire.
En évitant mes ratures.
Quand je reçois un compliment, la vraie Delphine ricane intérieurement. Elle vous a joué un tour, vous êtes tombés dans le panneau. Mais je finirai presque par vous croire, à la fin. Merci quand même.
--
Les bagues, en haut et en bas, l'appareil de nuit, les boutons, les cheveux mal coiffés et trop courts, les cernes, les sourcils pas dessinés, tout ça, c'est moi.
J'avais un rêve, c'était cette fille au teint parfait, à la crinière soyeuse qui sèche naturellement sans lisseur, au nez retroussé, à la beauté stupéfiante. Même en cours de sport, même le dimanche, même au réveil.
J'ai pris des baffes. Pas au sens littéral du terme. Pire. Les réflexions, les regards, les ricanements quand on passe dans le couloir.
J'habitais en face du lycée et quand j'avais fini les cours, si on m'envoyait "faire une course au Franprix" je scrutais immédiatement l'heure qu'il était. Soit j'avais de la chance, c'était une heure creuse. Soit je n'avais pas de chance et je savais qu'en allant chercher cette plaque de beurre, je tomberais sur la sortie d'une autre classe, tous sur le trottoir d'en face. Un cauchemar.
De toute ma scolarité, je n'ai jamais osé me présenter comme déléguée, parce qu'avec ma côte de popularité, je me serais retrouvée avec une voix, la mienne, et j'avais moyennement envie d'affronter cette déception.
Une fois, l'une des plus jolies filles de ma classe a sorti un petit miroir de son sac Eastpack, et a jeté un coup d'oeil discret quand le prof ne regardait pas. J'étais fascinée par la facilité de sa vie. Je n'aurais jamais pu le faire. J'aurais été horrifiée et déprimée. A ce moment-là, je me suis dit que si un jour, j'arrivais à me regarder dans un miroir, comme ça, de jour, devant tout le monde, sans stresser, juste pour vérifier un truc, j'aurais enfin réussi à avoir confiance en moi.
A la place, je suis devenue cynique et sarcastique, comme tous les gens complexés. J'ai perdu toute once de naïveté à 14 ans et je suis devenue intraitable avec les gens naïfs, que je trouvais souvent très bêtes et que j'enviais aussi, un peu, d'avoir le droit d'être innocents et naturels comme ils étaient, alors que moi je devais devenir quelqu'un d'autre pour plaire au reste du monde.
J'ai grandi. Je me suis fait des copines qui m'ont servi d'armure. J'ai découvert le cinéma, la musique, et tout ce qui me permettait de m'évader. Je suis devenue fan du Seigneur des anneaux, j'ai même commandé l'anneau authentique via mon magazine préférée, One, qui ne doit plus exister. Je dansais sur les albums de Britney et je m'endormais avec Difool et Romano, dans ma petite chambre de bonne de Neuilly-sur-Seine, en découvrant les problèmes de coeur et de cul de toute la France. Je n'avais jamais eu de copain, alors j'adorais. Et puis un jour j'ai écouté une chanson américaine entraînante, du genre qui donne envie de devenir un winner. Après plusieurs années de galère et la découverte miraculeuse de l'auto-bronzant, j'ai commencé à "m'arranger", comme on dit des filles pas terribles qui deviennent potables. Un moment donné je me suis tellement arrangée que j'ai eu un copain. Et je suis devenue officiellement une fille normale. Preuve ultime, cette année-là j'étais bien sur la photo de classe.
--
Cette histoire c'est la mienne, et même si elle m'a marquée à vie, je ne la changerais pas. D'ailleurs je suis sûre que je n'aurais rien à raconter sur un blog si tout avait été plus simple. Ça a été compliqué. Tant mieux.
Aujourd'hui je suis exactement la même personne. J'ai osé recouper mes cheveux, j'ai eu un bébé, je suis moins cynique, plus sage, j'ai moins de boutons, et un sourire sans ferraille, mais je suis la même. Tout au fond. J'espère qu'Aaron ne vivra jamais tout ça, ces angoisses, ces peurs, dont je viens de taire la moitié parce que je n'ose même pas tout déballer, si vous saviez. Un peu de pudeur, merde. L'ancienne cynique en moi trouverait déjà tout ça pathétique.
J'espère pour Aaron que continuera cette mode ridicule et adorable de s'envoyer des fleurs grosses comme nous sur Facebook et ailleurs, de type "Je t'aime ma vie" ou "T'es le plus beau". C'est merveilleux. Je n'ai jamais vu autant de bienveillance et de gentillesse sur les réseaux sociaux. Moi, à l'époque où skyblog avait commencé, je lisais, honteuse, derrière mon ordinateur, les commentaires méchants que les gens faisaient sur mon nez. Alors quand je vois les douceurs que "les petits jeunes" s'envoient aujourd'hui, je ne peux que saluer.
Quoiqu'il arrive, je ne pourrais pas empêcher les gamins d'être cons et méchants. Je ne pourrais pas toujours protéger mon fils des moqueries et des abrutis.
Même si rien qu'à l'idée que quelqu'un puisse le blesser, j'ai des envies de meurtre. La pensée qu'il puisse être triste ou angoissé à cause d'autres personnes, mon coeur se brise en mille morceaux.
Je ne peux pas tout contrôler. Mais il y a bien quelque chose que je peux essayer de lui donner comme arme. L'amour-propre. Le valoriser, même s'il a des boutons et la peau grasse. Lui donner assez confiance en lui pour qu'il ne doute jamais de sa personne, qu'il s'aime assez pour me dire un jour si quelqu'un lui fait du mal. Ce ne suffira peut être pas. Mais ça ne sera jamais de trop.
J'ai mon histoire et je vis avec.
La sienne, je voudrais l'aider à l'écrire.
En évitant mes ratures.
Commentaires
Marion