Châtelet ou Nation ? (Mood #8)


Paris

Ce matin, j'ai pris le RER. Sereine. Non, même pas sereine en fait. Confiante. Innocente. Vulnérable. Je n'y pensais pas, c'est tout. Je menais ma vie. 
Aller au boulot, pas trop en retard, finir de se maquiller deux stations avant son arrivée, se plaindre du froid qui glace le nez.

Il est 16:30, je suis dans la ligne 4 et je ne suis pas sereine. 
Aujourd'hui, je suis partie plus tôt du travail, parce que j'ai peur. 
Je veux vite rentrer chez moi. Je veux serrer mon fils et nous cacher sous un plaid. Quand je m'engouffre dans la bouche de métro, je pense à Bruxelles. Je m'imagine ce que les gens ont entendu, compris, ressenti. Les larmes, la panique, le visage de leurs proches qui leur sont sûrement apparus avant de sombrer dans le noir. La fameuse "vie qui défile sous ses yeux". Leurs souvenirs d'enfance, le jour de leur mariage, de la naissance de leur bébé. Mes larmes sont difficiles à contenir. 
Je marche en voyant flou, je pense à mon fils. Je me fais le pire des scénarios. Mon mari, ma famille. Je ne veux pas les abandonner. 

J'hésite sur mon itinéraire. C'est alors le moment de se poser des questions inhabituelles.
Ai-je plus de chance d'exploser à Châtelet ou à Nation? Châtelet c'est une plus grosse cible mais Nation est plus symbolique. Est-ce que je vais rentrer chez moi ce soir ? 
Denfert, je changerai à Denfert. Je me dirige vers mon siège favori. A sa gauche, un passager. Un homme, la trentaine, très brun. Avec 20 cm de barbe. Evidemment, que j'y ai pensé. Et puis je me suis assise quand même. S'il se fait sauter, je mourrais de toute façon, même assise deux sièges plus loin. donc bon. Il est sorti à Denfert, comme moi. Mais il s'est dirigé vers le RER B, et j'ai été soulagée. 
Je veux juste rentrer. Comme le 13 novembre et les semaines qui ont suivi, je n'ai jamais autant aimé la vie qu'aujourd'hui. Ils sont forts ceux qui n'ont pas peur, ceux qui disent qu'ils feront face, ceux qui ne "plieront jamais". 

Moi, j'ai peur. Ma vie est trop belle, je ne veux pas la perdre. Laissez-moi encore. 
Je veux sentir l'odeur de mon bébé, le voir grandir jusqu'à ce qu'il soit grand-père et que je me dise que c'est passé trop vite. Je veux embrasser mon mari, me moquer de lui quand il est maladroit, et le dévorer des yeux quand il fronce les sourcils en se coiffant. J'ai encore plein de choses à faire sur cette planète. Les soldes, fumer une avant-dernière cigarette, boire un verre de Chardonnay en terrasse, partir en vacances avec ma famille, jouer au Time's Up toute la nuit en se faisant bouffer par les moustiques et créer les souvenirs qu'on se rappellera dans 40 ans. 
Je veux donner une petite sœur à mon fils. Ou un petit frère, je m'en fous, pourvu qu'il soit en bonne santé et qu'il ai des plis sur les cuisses. 
Je veux acheter une maison et un jour déménager pas loin d'une plage où l'on fera des châteaux de sable et on écoutera le bruit des vagues. Je veux sentir encore les rayons de soleil l'été, ceux qui me donnent des taches de rousseur. Je veux apprendre à faire la roue et cocher chaque année une case de plus à ma liste de rêves.

Laissez-moi rentrer chez moi. Ce soir et tous les autres. Je promets que j'arrêterai de me plaindre de la pluie. J'arrêterai de m'en faire pour mon découvert et de décaler mon réveil tous les matins. Je me lèverai heureuse d'être en vie. Je savourerai encore plus chacun de leurs sourires. Je n'oublierai plus jamais la chance que j'ai d'être là, et de les avoir à mes côtés, en bonne santé. 

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Je sors de la gare.
Il y a un grand soleil, la tranquillité de ma petite ville de banlieue. Je passe devant un magnifique carrousel. Il faudra vraiment que j'y emmène Aaron. 
On ira, bientôt. 

Il est 17h12 et j'ai réussi à rentrer. 



© Ourson Chéri

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