Sur le bout des doigts
Quand je le récupère à la crèche, parfois il crie.
Comme ça. Il me voit arriver à travers la fenêtre, il sourit, la porte s'ouvre, et là il crie, un mélange de joie et de colère, on ne comprend pas trop mais on essaie de ne pas se vexer, la nounou lui met son manteau, et il profite de sa concentration à passer la manche dans la doudoune pour pousser la porte, et la refermer. Oui, oui, il me ferme la porte au nez ce petit ingrat. Je prends la situation avec philosophie, du moins en apparence, en m'esclaffant "oh bah alors on ferme la porte à maman, mais c'est pas gentil" alors qu'à l'intérieur je suis vexée comme un pou. Enfin... l'espace de quelques instants. Je l'installe dans sa poussette, je checke l'appli RATP, je vois que le bus arrive dans 2 minutes, on dit au revoir à la nounou, on roule en courant jusqu'à l'arrêt. Le bus est finalement en retard, on attend, dans le froid. Je l'occupe, parce qu'il s'impatiente vite. En général ça commence par une cascade de bisous parce qu'il m'a tellement manqué que j'ai besoin de ma dose quotidienne de son odeur de cou, ensuite je fais des pitreries pour l'entendre rire, et enfin si le bus est vraiment lent, je le prends en photo ou en snap.
Quand on rentre à la maison il insiste pour mettre la clé dans la serrure. Il se met sur la pointe de la pointe de ses petits pieds. Il manque encore quelques centimètres. Quand la porte s'ouvre, on enlève le manteau, il fonce vers la console et l'allume. C'est l'heure de Raiponce. C'est le même rituel tous les soirs. Je le sais, parce que je le connais par coeur.
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Un jour de janvier 2015
Je souhaite une bonne journée au mari, je ferme la porte derrière lui, je souffle un bon coup. J'ai profité, vers 5h du matin, quand tout le monde dormait, d'aller me faire un café et fumer une cigarette. C'est mon moment à moi. Je n'ai jamais autant fumé que pendant mon congé maternité. Les 5 minutes de coupure. Pas de pleurs, pas de biberon, pas de couches. Mon café, ma clope, les -2 degrés dehors, et moi. Avec mon peignoir, ma gueule pas maquillée, mes 8 kilos de trop, et ma nouvelle dénomination : mère.
J'étais une mère mais j'étais carrément à l'ouest. Je ne savais pas gérer ses pleurs. Encore aujourd'hui, s'il hurle trop fort, et ça arrive parfois, monsieur aime donner de la voix, je suis bloquée. Je me sens agressée par ses pleurs si violents, auxquels j'essaie de répondre en vain. Je me sens attaquée dans ma capacité à le rendre heureux.
Son fameux pic des coliques, je l'ai déjà évoqué. C'était entre la 6ème et la 9ème semaine de vie. Des pleurs continuels, des hurlements presque. Je berçais non-stop, il était toujours dans mes bras, ne faisais que des micro-siestes, j'avais des crampes et des fourmis, on me mettait en garde "il ne faut pas qu'il s'habitue trop aux bras" mais je le faisais quand même, tous les jours, tout le temps, parce qu'enfin, j'avais le silence, et lui trouvait le repos. Je voyais son visage enfin serein, et j'apprenais à tout faire à une main. On a continué comme ça, avec le tube de polysilane greffé à nos poches jusqu'à environ 9 semaines. Ca a commencé à aller mieux, on a découvert Galliagest, les tétines mam à débit 1, et la couverture d'emmaillotage RedCastle (non ce post n'est pas sponsorisé) ces produits sont mes sauveurs, eux et le temps qui a passé sûrement aussi. A partir de là, les siestes sont restées une galère, les couchers étaient encore un peu aléatoires, mais la journée, je n'avais que des sourires. Des areuh, des yeux malicieux. C'est à partir de là, je crois, que l'on est devenus vraiment complices.
Comme ça a été long.
C'est très dur à écrire et ça doit être bizarre à lire. J'aimerais qu'il en soit autrement, j'aimerais avoir aimé ma grossesse, j'aimerais avoir pu essayer l'allaitement. Mais c'est comme ça, c'est notre histoire.
La réalité. Mon fils et moi, nous nous sommes apprivoisés.
On a commencé par se regarder dans le blanc des yeux, tous les matins, après le bib. Il faisait froid dehors, j'avais une nacelle de 12kg et deux étages à descendre sans ascenseur. Bref, on ne sortait jamais. On passait la journée à la maison, on vivait au rythme des émissions TV que je n'avais jamais regardées avant. Tous les après-midi, je l'endormais au bras avec "Une nounou d'enfer" en fond.
Je me sentais maman pendant les nuits blanches, je me sentais maman quand je lui donnais le biberon, je me sentais maman tout le temps, depuis qu'il était né. Mais je ne me suis jamais sentie aussi maman que lorsqu'il s'endormait contre moi, avec sa tétine pleine de polysilane. Quelle galère mon fils. Qu'est-ce que ça a été dur.
Maintenant, tout est différent. Les gens nous observent dans le bus. Je ne les regarde pas, je ne voudrais pas avoir l'air d'attirer l'attention sur nous, mais je sens qu'ils nous observent et nous sourient, parce qu'on se fait des bisous esquimaux, que tu ris en tenant mon visage et que tu es le plus mignon du monde.
Aujourd'hui, je connais chaque endroit où tu es chatouilleux. Je connais ton odeur par coeur et chaque bouclette sur ta tête. Je sais comment détourner ton attention, je devine quand tu es fatigué et je comprends quand tu as faim. Je décripte ton charabia, boubou c'est la nourriture (la faute à celle qui dit tout le temps le mot "bouffe"), didi c'est le doudou, et "vvvv" c'est pour nous demander de faire l'avion ton jouet préféré.
Voilà. On y est arrivés. Maintenant je te connais par coeur mon fils. Si j'avais su, il y a un an. J'avais l'impression d'être la pire des mères, je l'ai même dit une fois au téléphone à ma tante, complètement déprimée, je lui ai dit, "de toute façon on est maudits avec les mères dans la famille, j'ai hérité de la malédiction, voilà".
Elle a rit. Elle a tellement rit que j'ai souri aussi. Elle n'avait même pas besoin de me dire à quel point c'était bête de penser ça, je le savais. Bien sûr que mon fils m'aimait, même s'il pleurait toute la journée. Bien sûr que j'étais une bonne maman, puisque je faisais tout ce que je pouvais, que j'allais au-delà de mes limites.
Aujourd'hui, tout va mieux. Je ne me fais toujours pas aux pleurs trop forts. Mais je sais que je suis ta maman, que je suis la meilleure pour toi, que je suis tout pour toi même. Je sais que tu m'aimes. Je le vois quand tu souris avec ta tétine et que tu me tiens les joues en appuyant ton petit nez au mien. Tu me regardes avec tes yeux les plus pétillants de la Terre.
Parfois, on regarde Raiponce en se tenant la main, et tu me fais des petites caresses. Les larmes montent. Tu me regardes, je te vois complètement flou et je souris. Quand tu seras plus grand, je te dirai que c'est à cause de la sorcière ou des lanternes. La vérité, c'est que ces larmes sont pour toi.
Il nous a fallu un peu trop de temps à mon goût.
Et puis, peut-être pas finalement. Peut-être bien que tout est parfait, exactement comme ça.
Bref. On y est arrivés.
Et qu'est ce que je suis fière de nous.
Comme ça. Il me voit arriver à travers la fenêtre, il sourit, la porte s'ouvre, et là il crie, un mélange de joie et de colère, on ne comprend pas trop mais on essaie de ne pas se vexer, la nounou lui met son manteau, et il profite de sa concentration à passer la manche dans la doudoune pour pousser la porte, et la refermer. Oui, oui, il me ferme la porte au nez ce petit ingrat. Je prends la situation avec philosophie, du moins en apparence, en m'esclaffant "oh bah alors on ferme la porte à maman, mais c'est pas gentil" alors qu'à l'intérieur je suis vexée comme un pou. Enfin... l'espace de quelques instants. Je l'installe dans sa poussette, je checke l'appli RATP, je vois que le bus arrive dans 2 minutes, on dit au revoir à la nounou, on roule en courant jusqu'à l'arrêt. Le bus est finalement en retard, on attend, dans le froid. Je l'occupe, parce qu'il s'impatiente vite. En général ça commence par une cascade de bisous parce qu'il m'a tellement manqué que j'ai besoin de ma dose quotidienne de son odeur de cou, ensuite je fais des pitreries pour l'entendre rire, et enfin si le bus est vraiment lent, je le prends en photo ou en snap.
Quand on rentre à la maison il insiste pour mettre la clé dans la serrure. Il se met sur la pointe de la pointe de ses petits pieds. Il manque encore quelques centimètres. Quand la porte s'ouvre, on enlève le manteau, il fonce vers la console et l'allume. C'est l'heure de Raiponce. C'est le même rituel tous les soirs. Je le sais, parce que je le connais par coeur.
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Un jour de janvier 2015
Je souhaite une bonne journée au mari, je ferme la porte derrière lui, je souffle un bon coup. J'ai profité, vers 5h du matin, quand tout le monde dormait, d'aller me faire un café et fumer une cigarette. C'est mon moment à moi. Je n'ai jamais autant fumé que pendant mon congé maternité. Les 5 minutes de coupure. Pas de pleurs, pas de biberon, pas de couches. Mon café, ma clope, les -2 degrés dehors, et moi. Avec mon peignoir, ma gueule pas maquillée, mes 8 kilos de trop, et ma nouvelle dénomination : mère.
J'étais une mère mais j'étais carrément à l'ouest. Je ne savais pas gérer ses pleurs. Encore aujourd'hui, s'il hurle trop fort, et ça arrive parfois, monsieur aime donner de la voix, je suis bloquée. Je me sens agressée par ses pleurs si violents, auxquels j'essaie de répondre en vain. Je me sens attaquée dans ma capacité à le rendre heureux.
Son fameux pic des coliques, je l'ai déjà évoqué. C'était entre la 6ème et la 9ème semaine de vie. Des pleurs continuels, des hurlements presque. Je berçais non-stop, il était toujours dans mes bras, ne faisais que des micro-siestes, j'avais des crampes et des fourmis, on me mettait en garde "il ne faut pas qu'il s'habitue trop aux bras" mais je le faisais quand même, tous les jours, tout le temps, parce qu'enfin, j'avais le silence, et lui trouvait le repos. Je voyais son visage enfin serein, et j'apprenais à tout faire à une main. On a continué comme ça, avec le tube de polysilane greffé à nos poches jusqu'à environ 9 semaines. Ca a commencé à aller mieux, on a découvert Galliagest, les tétines mam à débit 1, et la couverture d'emmaillotage RedCastle (non ce post n'est pas sponsorisé) ces produits sont mes sauveurs, eux et le temps qui a passé sûrement aussi. A partir de là, les siestes sont restées une galère, les couchers étaient encore un peu aléatoires, mais la journée, je n'avais que des sourires. Des areuh, des yeux malicieux. C'est à partir de là, je crois, que l'on est devenus vraiment complices.
Comme ça a été long.
C'est très dur à écrire et ça doit être bizarre à lire. J'aimerais qu'il en soit autrement, j'aimerais avoir aimé ma grossesse, j'aimerais avoir pu essayer l'allaitement. Mais c'est comme ça, c'est notre histoire.
La réalité. Mon fils et moi, nous nous sommes apprivoisés.
On a commencé par se regarder dans le blanc des yeux, tous les matins, après le bib. Il faisait froid dehors, j'avais une nacelle de 12kg et deux étages à descendre sans ascenseur. Bref, on ne sortait jamais. On passait la journée à la maison, on vivait au rythme des émissions TV que je n'avais jamais regardées avant. Tous les après-midi, je l'endormais au bras avec "Une nounou d'enfer" en fond.
Je me sentais maman pendant les nuits blanches, je me sentais maman quand je lui donnais le biberon, je me sentais maman tout le temps, depuis qu'il était né. Mais je ne me suis jamais sentie aussi maman que lorsqu'il s'endormait contre moi, avec sa tétine pleine de polysilane. Quelle galère mon fils. Qu'est-ce que ça a été dur.
Maintenant, tout est différent. Les gens nous observent dans le bus. Je ne les regarde pas, je ne voudrais pas avoir l'air d'attirer l'attention sur nous, mais je sens qu'ils nous observent et nous sourient, parce qu'on se fait des bisous esquimaux, que tu ris en tenant mon visage et que tu es le plus mignon du monde.
Aujourd'hui, je connais chaque endroit où tu es chatouilleux. Je connais ton odeur par coeur et chaque bouclette sur ta tête. Je sais comment détourner ton attention, je devine quand tu es fatigué et je comprends quand tu as faim. Je décripte ton charabia, boubou c'est la nourriture (la faute à celle qui dit tout le temps le mot "bouffe"), didi c'est le doudou, et "vvvv" c'est pour nous demander de faire l'avion ton jouet préféré.
Voilà. On y est arrivés. Maintenant je te connais par coeur mon fils. Si j'avais su, il y a un an. J'avais l'impression d'être la pire des mères, je l'ai même dit une fois au téléphone à ma tante, complètement déprimée, je lui ai dit, "de toute façon on est maudits avec les mères dans la famille, j'ai hérité de la malédiction, voilà".
Elle a rit. Elle a tellement rit que j'ai souri aussi. Elle n'avait même pas besoin de me dire à quel point c'était bête de penser ça, je le savais. Bien sûr que mon fils m'aimait, même s'il pleurait toute la journée. Bien sûr que j'étais une bonne maman, puisque je faisais tout ce que je pouvais, que j'allais au-delà de mes limites.
Aujourd'hui, tout va mieux. Je ne me fais toujours pas aux pleurs trop forts. Mais je sais que je suis ta maman, que je suis la meilleure pour toi, que je suis tout pour toi même. Je sais que tu m'aimes. Je le vois quand tu souris avec ta tétine et que tu me tiens les joues en appuyant ton petit nez au mien. Tu me regardes avec tes yeux les plus pétillants de la Terre.
Parfois, on regarde Raiponce en se tenant la main, et tu me fais des petites caresses. Les larmes montent. Tu me regardes, je te vois complètement flou et je souris. Quand tu seras plus grand, je te dirai que c'est à cause de la sorcière ou des lanternes. La vérité, c'est que ces larmes sont pour toi.
Il nous a fallu un peu trop de temps à mon goût.
Et puis, peut-être pas finalement. Peut-être bien que tout est parfait, exactement comme ça.
Bref. On y est arrivés.
Et qu'est ce que je suis fière de nous.
© Ourson Chéri |
Commentaires
Mais, tu ne trouves pas qu'après la galère qu'on a l'air d'avoir connu ttes les 2,, on savoure encore plus les beaux moments et la facilité d'ajd ? Je dirais même plus, maintenant il m'a tellement éprouvée et rodée que je me sens invincible et prête a tt traverser avec lui. La periode d'opposition, la crise des 2 ans...même pas peur, j'ai vecu tellement pire avant...
Merci pour ce bel article en tout cas. Ca fait du bien à lire !