Trempez-la dans l'huile, trempez-la dans l'eau

On est le 22 avril 2016, j'ai 27 ans et demi, et toi 16 mois 3/4. Là tu dors. Tout mignon. Le doudou contre la joue.
Tout à l'heure je t'ai parlé de ta tétine et tu as répété après moi, "Téti". J'en ai eu le souffle coupé et je te l'ai fait dire une bonne dizaine de fois. Une vraie tarée. "Comment on dit tétine ?". Le plus gentil que tu es le redisait, inlassablement, et puis un moment tu t'es arrêté, faut pas déconner. Pas grave, j'ai réussi à te filmer.
Je suis fière de toi. Je t'écris ça pour que tu le saches et que tu ne l'oublies jamais. Je suis si fière de toi. Je me demande parfois quel jeune homme tu seras plus tard. Evidemment, je serais ta maman toute notre vie et tu seras toujours mon tout-petit. Mais quand même. Etre maman d'un adulte, c'est forcément différent, non ?


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Salut, chéri, ça va ? J'ai encore le droit de t'appeler chéri ? J'imagine que "nounours" et "poussin" sont révolus depuis longtemps. Te voilà presque majeur.
Depuis mon MacBook Pro (on est en 2016), j'aimerais bien savoir si tu es si grand que ça, avec ta drôle de courbe de croissance.
Suis-je devenu une mère relou que tu envoies bouler de temps en temps ? Ringarde ? Oh, tu sais, pas la peine de faire le malin, moi aussi je trichais à l'école (qui a inventé les photocopies -50% à cacher dans sa trousse, à ton avis?) et moi aussi je crapotais en cachette, avant de devenir une vraie fumeuse qui avale la fumée.
Alors "mon grand", comment c'est, en 2032 ? Est-ce que Star Wars épisode 12 est sorti au cinéma ? Sait-on qui a fini sur le Trône de Fer ? Comment ça ? Tu connais pas la meilleure série du monde ? Tsss, si tu savais ce que tu as raté. Je suis la génération Harry Potter, la meilleure. Est-ce que tu connais la chanson Wonderwall ?
A ton entrée au collège, tu as sûrement refusé que je t'emmène, voulant faire le chemin tout seul comme un grand. Tu as peut-être laissé pousser tes cheveux et fait une coupe bizarre mais tendance, un peu comme les victimes de Justin Bieber (la génération après ton père, il y a échappé, par chance). Tu as affiché un très menaçant "Entrée INTERDITE" sur la porte de ta chambre et demandé pourquoi je t'habillais comme ça en regardant tes photos d'enfance ? 

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Tu vois là, on sort d'une semaine galère, puisque tu as eu un charmant mélange de rhino, angine et laryngite. Mais quand je pense à tout ça, quand je t'imagine si grand, je réalise comme j'aime chaque instant passé avec toi. Même les pires.
Quand je te berce la nuit, après un cauchemar, que tu ne veux plus te rendormir et que mes yeux tombent de fatigue.
Quand tu n'as pas envie de manger, que pour chaque bouchée je dois user de stratagèmes. Genre t'expliquer, avec des rebondissements dignes d'un film de Michael Bay, comment fonctionne le lave-vaisselle juste derrière nous. Bruitages indispensables. 
Quand tu essaies de t'enfuir de la table à langer avant que je n'ai fini. Plus je dis "attends" plus tu luttes, avec une force que je ne m'explique toujours pas.
Quand j'ai chassé rangé tous les jouets du salon et que tu viens renverser l'intégralité d'un seau de mini-cubes sur le canapé.
Quand je passe l'aspirateur et que tu t'enfiles un gâteau. Bien sablé de préférence. Et alors que je me mets à râler-rigoler (concept typique dans notre maison, un gage de grande crédibilité parentale), tu postillonnes en riant. 
Quand je rentre du travail et que je voudrais juste m'écrouler sur le canapé, manger une pizza bien fat, et m'endormir sans penser aux tâches qui m'attendent, celles que je dois faire absolument sinon c'est toute la semaine qui sera un fiasco.
Quand je ne sors plus le soir en semaine, même une heure, même pour un petit verre. Parce que tout le monde dit que "ça fait du bien" mais moi non, je trouve pas, moi j'ai une boule au ventre si je ne viens pas te chercher à la crèche.
Quand tu me suis dans toute la maison, jusqu'aux toilettes, et que même pendant ce moment de solitude je t'entends toquer à la porte.
Quand tu hurles en public. 
Quand tu fais un caprice et t'allonge par terre de désespoir.
Quand tu tombes malade alors que les nuits étaient à nouveau calmes et que tout mon gentil programme de la semaine, bien trop aseptisé, virevolte, pour la vie, la vraie, celle que l'on ne prévoit pas, celle qui nous surprend, et celle que l'on accepte, avec du pivalone et des antibio (bénis soient-ils).  

Chaque difficulté. C'est tout ton petit être plein d'énergie qui nous éclabousse. Ta vie. Celle que l'on a voulue, attendue. Que l'on tente d'embellir chaque jour. 

Alors voilà. Un jour viendra, tu n'auras plus besoin de mes bras après un cauchemar, tu mangeras seul à peu près proprement, et il n'y aura plus de jouet qui traînera dans le salon. Une ère nouvelle aura commencé, je serais la mère qui attend en robe de chambre dans la cuisine, portable vissé à la main, que son fils rentre entier et pas trop bourré de boîte de nuit. 
Ce sera différent et ce sera beau tant que tu seras heureux et en bonne santé. 
Mais tu deviendras un adulte, et tu nous quitteras un peu quand même. Peut-être que tu deviendras papa à ton tour, et je repenserai sûrement avec nostalgie au petit poussin qui pleurait à chaudes larmes, engoncé dans sa gigoteuse et accroché aux barreaux de son lit, parce qu'il voulait quelques minutes de plus avec nous. Allez, encore une histoire, s'il te plaît, une dernière comptine. 

D'ici là... Chaque minute passée à te bercer la nuit, ces nuits qui me semblent parfois interminables, c'est une petite bulle, rien qu'à nous, fragile et magique, quelques milligrammes de douceur avec mon bébé à la tête moite, lové contre moi, cherchant le sommeil à l'ombre d'une veilleuse tortue (petit aparté, elle était géniale cette veilleuse tortue, tu ne te rends même pas compte, tout le monde se l'arrachait, on en parlait sur les réseaux sociaux, elle endormait les bébés les plus relous éveillés, bref, c'était la meilleure veilleuse de la planète). 

Ce soir, je me dis que chaque souris verte que je chante en échange d'une cuillerée de compote sera un souvenir de mon privilège. De ma fierté. De cette honneur que j'ai. Si beau, si éphémère. 

Quoi donc ?

T'élever, mon bébé.

© Ourson Chéri


Commentaires

Elodie a dit…
Wahouuu! Sublime. Comme toujours les larmes aux yeux!
:-)
Unknown a dit…
Tout à fait ça! tellement impatiente de te lire à chaque fois! tes mots sont comme un tourbillon d'émotion... qui à la fois me touche et me font rire.
C'est tellement prenant que tu pourrait sortir une bible que je la lirais sans relâche!
Oui oui je n'exagère rien!
A travers cette petite fenêtre d'ordinateur je te lis assidument et j'ai l'impression de te connaître, d'avoir une amie avec qui je discute... c'est dingue ce lien que l'on se craît à l'unilatérale (car tu ne me connaît pas).
mais peut être qu'un jour nous aurons le plaisir de nous croisé que je rencontrerais ton ourson et que je présenterais mon lapin ;)
Et mon grand loulou aussi!
Bref je divague pour la première fois que je te poste un message cela deviens un roman.
Delphine Maarek a dit…
@Elodie
Merci beaucoup ! <3


@Aurore
Merci pour ce doux message, j'adore vous lire et j'en suis toujours très touchée... Quant à la rencontre du nounours et du lapin, n'oublie pas de me faire signe ce jour-là ! je t'embrasse

Unknown a dit…
Bon ben c'est top comme dhab des bisouuus
Justine a dit…
Magnifique comme d'habitude mais surtout rempli d'amour ! Ton fils sera tellement heureux de te lire plus tard.. c'est un très beau cadeau que tu lui fais la :) par curiosité, est ce la veilleuse tortue de chez nature et découverte dont tu parles ? Si oui, j'en ai fais cadeau à un couple d'amis et c'est de loin le meilleur cadeau qu'ils aient reçu selon eux ! Trop fier :)
Delphine Maarek a dit…
@Justine
Merci beaucoup. Oui, la marque c'est Cloud B mais on peut la trouver chez Nature et Découverte, entre autres :) La meilleure ! Bravo pour ton super cadeau !