Le plus dur métier du monde (Wawar)

Il y a 11 mois, un dimanche soir, la boule au ventre, je me préparais sans succès à l'entrée en crèche municipale d'Aaron, avec mille craintes et une demi tonne d'appréhension.

Il y a 11 mois je pensais que je raterai tout, ses premiers pas et ses premiers mots, qu'une inconnue le verrai dormir paisiblement pendant sa sieste à ma place, qu'il ne m'aimerai plus jamais autant qu'avant et que tout serai différent.

J'avais raison sur un point. C'est différent.
Mais l'inconnue a eu un visage. Une voix. Un sourire. Et ça a tout changé.

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Quand je le récupère le soir il est partagé entre la déception et l'excitation alors souvent il me sourit et en même temps se met à pleurer, en jetant violemment le jouet qui a eu de malheur de tomber entre ses pattes à ce moment-là.

Elle l'aime plus que tout et je le vois parce qu'elle me raconte leur journée en le recoiffant, en lui mettant ses chaussures, et puis moi j'attends niaisement, avec un sourire et les bras ballants, je les écoute et je les contemple dans leur complicité, celle qui pourrait me faire peur parce qu'elle me volerait ma place mais celle que je chéris puisqu'elle fait de lui un bébé heureux malgré mon absence.
Alors oui, je souris, je bénis cette chance qu'ils se soient trouvés. Quand on part ils se regardent et secouent leur main en se disant au revoir, et elle me répète, "Qu'est ce qu'il est gentil, il est beau", elle lui sourit "oui au revoir amour, à demain", toujours en agitant sa main, comme les couples des films des années 50 qui brandissent leur mouchoir sur le quai d'une gare.

Il mange mieux chez elle que chez moi, il joue à des jeux que je ne connais pas, il a ses secrets et une autre petite vie, bien à lui. C'est le risque quand on est une maman ou un papa qui travaille.
La bonne nouvelle c'est qu'il s'y épanouit, qu'il a une copine (un peu son amoureuse aussi) et comme il est fils unique c'est un peu la copine qu'il n'a pas à la maison, c'est l'apprentissage et la découverte de l'autre, la communauté, le partage, bref, la possibilité d'apprendre à faire des bêtises à deux.

Quand je l'ai rencontrée je l'ai tout de suite adorée. C'était l'évidence.
C'est pourtant à cet endroit qu Aaron a fait une chute qui nous a conduit tout droit à l'hôpital avec des sueurs froides et les 48 heures de surveillance les plus longues de notre vie. Une chute sans aucune conséquence à part celle de marquer à vie nos coeurs angoissés à tous les trois. Elle, le mari et moi. Pas une seule fois, pas une seule seconde je n'ai douté de sa "tata", alors que je ne la connaissais que depuis un mois.

Il a fait trois pas, à la maison, un soir de janvier sous nos yeux embués, et il n'a plus jamais recommencé. Jusque 15 jours plus tard. Chez elle.
Je n'ai pas eu mal, pas une once de regret. Juste de la gratitude. Pour son texto immédiat, son enthousiasme, sa fierté, sa manière qu'elle a eu de me l'annoncer, d'essayer comme elle pouvait de le filmer et me l'envoyer.

Ce n'est pas une dame qui garde mon enfant.
C'est la personne qui endosse chaque jour la responsabilité de faire aussi bien voir mieux qu'un parent. Sans aucune légitimité à la base, et avec tout le poids que ça implique en plus.
Plus dur qu'une mamie, qu'une tante, qu'une amie.
Cette femme, c'est personne. En tout cas le premier jour. On ne la connaît pas, et d'un coup c'est elle. Voilà, je vous dépose la prunelle de mes yeux. Bonne journée, à ce soir.

Quand je pars au travail, quand je passe ma journée si loin, quand je pense à lui... Je sais qu'il va bien.

A la fin de cette année, je sais que l'on a eu raison, que notre instinct ne nous a pas trompés.
Il a fait une chute, un jour. C'était la malchance absolue, le cauchemar éveillé, l'accident de merde qui arrive à tout le monde et dont on met des mois à se remettre, autant elle que nous, elle qui a même envisagé de tout arrêter tellement elle n'arrivait pas se pardonner alors qu'Aaron, lui, était remis depuis déjà bien longtemps. Un accident, voilà. Un stupide accident au bout d'un mois d'accueil.
D'ailleurs c'est quoi ce terme "accueil".
Elle ne l'accueille pas. Elle joue, soigne, aime, nourrit. Avec des purées maison et de la bienveillance. Elle s'investit chaque jour comme si c'était son enfant et se détache chaque soir parce qu'il ne l'est pas.
L'amour était déjà tellement fort, la complicité tellement grande, on a gardé notre confiance et nous voilà, 10 mois plus tard, les bouclettes ont poussés, il a appris à marcher, à parler, à lui faire des bisous et lui dire au revoir.

Vendredi, tu lui diras au revoir pour un mois.
Mais je crois qu'avant d'agiter ta petite main en répétant wawar pendant qu'elle te sourit, on lui dira surtout : merci.










© Ourson Chéri

Commentaires

Unknown a dit…
Quel magnifique texte. Étant assistante maternelle c'est tout à fait ce que je ressens. De notre côté , c'est beaucoup de remises en question, tout les jours, tout le temps car on s'y attache à ces petits êtres et on veut le meilleur pour leur développement . J'apprécie ton blog , depuis peu je t'écris en commentaire car je n'ose pas sur Instagram, tu a un don pour l'écriture, et j'espère que les parents pense comme toi quand ils récupèrent leurs enfants le soir à la maison, car j'aurais réussis dans ce cas. Belle soirée à vous 3
Laure a dit…
Bonjour, je suis assiduement ton blog sans commenter, mais je me reconnais souvent dans tes textes ... Non pas sur le physique (malheureusement je ne suis pas aussi bien foutue ;) et je me demande comment tu arrives a etre aussi bien apretée au quotidien avec un bebe! Mais par contre je me reconnais parfaitement en l'amour infini que je porte aussi à mon bebe de 18 mois qui a chamboulé ma vie :) alors petite question! Tu parles de creche mais tu sembles decrire une assistante maternelle ... Est il en collectivité? Merci en tout cas pour tes textes, c'est un plaisir de te lire :)
Unknown a dit…
Qu'est ce que c'est beau!!
Ma fille à dit au revoir à nounou vendredi dernier et ça fait un an et demi que ça à commencé
C'est vrai qu'elles ont un rôle hyper important et j'ai également entièrement confiance en elle et je lui dis aussi merci pour tout
Je crois que je vais lui faire lire ce texte d'ailleurs pour la remercier
Alors merci à toi pour ce texte qui est très émouvant comme tous les autres que tu écris :)
Delphine Maarek a dit…
@ Roxane
Ca me touche beaucoup. Merci a toi!!!

@Laure
Pour la question de la preparation, c'est juste de l'organisation, mais merci pour ces gentils mots :) Aaron est chez une nounou en creche familiale ! Donc structure d'accueil gerée par la mairie, mais chez une assistante maternelle !

@Loriane
Merci ma belle. Quand on donne autant au quotidien et qu'on contribue a la serenité des parents, on a vraiment un metier pas comme les autres. Je suis sure que de nombreux parents ressentent ca pour toi.