Un déca et une grenadine, s'il vous plait

Il me l'a dit hier soir au dîner. 

"Je pense que c'est pour ce mois-ci."


J'avais la nausée, pas très faim, mais ce n'était pas un indice, non, impossible, j'étais à J15, j'avais juste une nausée ce soir-là, mais lui l'a senti comme ça. Malgré mes tentatives désespérées d'en savoir plus, comme si l'instinct de mon mari valait un milliard, et valait tellement plus que le mien qui m'avait fait défaut à chaque cycle, je buvais ses paroles. Evidemment, son argumentaire n'a pas été aussi loin que je l'espérais secrètement, il le sentait, voilà, c'est tout. 
Cet instinct venant de lui pour la première fois me donnait d'un coup l'espoir que je me refusais depuis mon foirage total du premier cycle d'essai, celui sur lequel j'avais clairement beaucoup trop compté. 


10 jours plus tard


C'est là, j en suis sûre cette fois. 
Je le sais parce que je me sens bien. Je suis heureuse. Sereine. Énergique. 
C'est rare en fin de cycle. C'est habituellement la phase déprimatoire, bonjour tristesse, fatigue extrême. 
Alors je n'ai pas besoin de nausée ou ni encore d'absence de règles. 
Mais je sais.
Je fais un test, la barre est tellement pâle, à peine perceptible, je ne l'aperçois que grâce au flash de mon appareil photo. 
Je m'en fous, je sais, je suis sûre. 
Je passe la journée à savoir, ça flotte comme ça, autour de moi. 
Personne du monde médical ne me l'a confirmé mais je le sais. Et pas comme la première fois. 
Quelques heures plus tard, j'irais faire une prise de sang. Je recevrais le résultat sur mon portable, en pleine journée, avec 10 personnes autour de moi à qui le cacher. 
Je déciderai d'ouvrir le résultat plus tard, seule, et puis je le chargerai quand même le document, vous savez, juste pour qu'il soit tout prêt des que je le voudrais. 
J'apercevrai par mégarde un numéro,  comme ça, alors que je suis en plein milieu de mon bureau. En un quart de seconde je saurais. Pour de bon. Ca y est. Ca a marché. 
46/ui. 
Ne souris pas. Ne pleure pas. Continue de clavioter. Tu es enceinte. Ca y est. Cette fois c'était la bonne. 

Je vais accoucher en juillet. Je vais avoir un bébé d'été. Aaron et lui auront 2 ans et 7 mois d'écart. Je l'aurais juste avant ma 29ème bougie. L'année des 30 ans du mari. Voilà. Juillet. Cancer. C'est bien cancer ? Oui ce sera bien comme signe, puisque ce sera mon bébé, mon petit deuxième d'amour. 

Je t'aime, je t'aime, je t'aime, ma minuscule graine de pavot. 

Je marche dans les couloirs du métro et je suis enceinte. 
Bonjour, une demi-baguette s'il vous plaît (je suis enceinte). 
Je m'endors (tu te rends compte quand même ou pas du tout) et à mon réveil je me demande si tout est réel. Au fait, je suis enceinte. 

L'aventure commence. Ou plutôt, l'aventure est repartie. 

Au fait. Il avait raison. C'était bien pour ce mois-ci.


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Un café allongé, ah non pardon, un déca allongé, et une grenadine s'il vous plaît. 

Bon, alors, mon cœur, je t'explique le plan. On va gonfler ces ballons, et les accrocher sur ce fil, pour faire une guirlande. Après, on va la mettre sur la poussette, les tabourets et nos chaises pour que Papa la voit en arrivant. Ça va lui faire plaisir. Ok ?

J'ai récupéré Aaron chez la nounou, on s'est dépêchés, on est passés au Monoprix acheter les ballons les moins moches, de la corde et des bonbons. On a couru jusqu'au Foch, celui qui est en face de la gare où il laisse sa voiture tous les matins. On s'est installés là, en terrasse, où il n'y a personne, pour garder un peu à nous ce moment pourtant en plein milieu de la rue. 

On a prétexté un problème de bus et on a dit qu'on l'attendait dans un café parce qu'on avait froid, qu'il fallait qu'il nous rejoigne là parce qu'on buvait très lentement, une grenadine ça se savoure pardi.
En vérité, il ne fait pas encore froid, on s'en fout, on fait semblant, ça fait partie du plan.
Je gonfle les ballons sous le regard amusé de mon premier bébé, j'en éclate trois de nervosité, et puis enfin, tout est prêt.
Tu bois ta grenadine mon poussin? Mon gâteau ? Ah, tu veux mon petit spéculos... trempé dans le café... Ben voyons. Tiens regarde, voila Papa, ça y est il est arrivé, tu lui fais coucou ? Il attend au passage piétons, c'est bon, il nous a vus, il fronce les sourcils, ça doit être à cause de la guirlande de ballons au dessus de nos chaises, le feu passe au rouge, il traverse, il sourit, mais pas comme d'habitude, je crois qu'il sait, il a compris, il a deviné, que tu vas avoir un petit frère ou une petite soeur.
J'avais acheté une carte et écrit un mot à la hâte, pour lui annoncer. Il s'assoit sur le tabouret en face de moi et me regarde droit dans les yeux. Il me fixe, le regard pétillant. Pour la forme et avec un sourire jusqu'aux oreilles, il nous demande quand même ce qu'on fait là, je lui souris, je souris toujours quand je suis nerveuse, je lui donne la carte, il fait commence à l'ouvrir mollement et me dit que c'est pas la peine, qu'il sait déjà, je suis enceinte c'est ça ?

Oui. C'est ça.



Le temps s'arrête une seconde sur son visage. Je ne veux jamais oublier son regard à cet instant. L'amour de ma vie, le père de mes bébés. On va être parents à nouveau.

Il est tard, il fait nuit maintenant. On abandonne la grenadine, on fait un câlin familial devant la fontaine qu'Aaron voulait admirer depuis tout à l'heure, et on repart tous les trois. 


Pardon. 

Tous les 4. 

Il était vachement bon ce déca. 




© Ourson Chéri

Commentaires

Anonyme a dit…
Très émouvant, comme d'habitude ! J'adore ta plume, c'est toujours un plaisir à lire :) félicitations et beaucoup de bonheur à vous 4 ��
Anonyme a dit…
Je suis encore au rdv pour lire ta petite histoire!, qu'elle bonne idée que tu as eu dans ce café, ton annonce été toute belle.
Bravo encore à toi Delphine de nous faire partager cet instant de ta vie, de ta grossesse, de ton bonheur!
@joli___bonheur
Unknown a dit…
Chere Delphine,

Je te suis depuis le Canada.. et lire toutes tes histoires est un tel plaisir.D'une premiere part, cela me rappelle ma vie en France, la routine de tous les jours et le bonheur dans la vie normale.. Je ne commente jamais, mais alors cet article est tellement touchant qu'il m'aurait presque mis la larme. Je suis bien consciente que les reseaux sociaux, les blog et les IG ne sont qu'une infime partie, mais je pense qu'on ne te remercie pas assez de faire partager ta vie de cette facon. Tu mets des mots sur beaucoup de sentiments que l'on n'ose prononcer ou meme admettre. Te lire est une vraie bouffee d'oxygene, et j'attends chaque article et photo IG avec impatience. J'espere qu'on aura le plaisir de te lire encore longtemps.. et que tu poursuivra tes reves !!
Maman BCBG a dit…
Quelle émotion...! Félicitations et bonne route à vous 3, et à la toute petite vie qui grandis au milieu de vous!!!!
Delphine Maarek a dit…
Merci à toutes, pour vos petits mots si touchants...