Tu seras une femme forte, ma fille

Aujourd'hui, c'est la Journée Internationale du Droit des Femmes.

J'attends une fille depuis 20 semaines et 4 jours, et je pense tous les jours aux situations qu'elle va affronter parce qu'elle sera une femme. Comme nous vivons en France et que d'autres femmes ont déjà oeuvré pour nous dans le passé (big up Simone!), elle aura déjà la chance d'avoir plus de droits et une vie meilleure que la plupart des autres femmes sur le globe. Mais tout n'est pas encore gagné, loin de là. 

Je suis payée comme un homme par un patron qui emploie plus de femmes, pas spécialement par choix, mais par hasard je crois, donc côté boulot, j'ai de la chance. Côté rue, je suis victime de harcèlement depuis que je suis en mesure de porter des robes, et jusqu'ici, ma colère gronde mais je n'ai jamais rallongé mes jupes pour "avoir la paix". Un matin, à 6h, direction le RER, capuche sur la tête, tenue pire que classique, j'ai quand même réussi à attirer l'attention de trois mecs dont un particulièrement lourd du haut de son mètre 65, à qui j'ai répondu qu'il fallait arrêter de faire chier les nanas comme ça dans la rue. Je m'en souviens bien parce que j'étais enceinte et au tout début de ma grossesse, je voulais juste le dégommer ce gros con qui m'arrachait à mes pensées matinales pour se faire mousser devant ses potes. Face à ma colère il s'est -sans surprise- énervé à son tour en me traitant de chieuse/hystérique/malade et il a tourné les talons. J'ai hésité à relever le numéro d'immatriculation de son camion pour le signaler à la mairie, et puis, je sais pas, dans un élan de bonté (ou peut-être par crainte d'être vraiment une hystérique ?), je ne l'ai jamais fait. 

Ces situations, ma fille les vivra peut-être, et puis peut-être pas. J'ai aussi un petit garçon à la maison, alors la bonne nouvelle, c'est qu'on éduquera son frère de façon à ce qu'elle grandisse dans un monde différent, dans un monde où les nanas seront respectées peu importe l'échancrure de leur maillot de bain.  
 Ce qui me hante, ce qui m'obsède en cette journée qui met les femmes à l'honneur, c'est un autre sujet. Les femmes entre elles. De toute ma vie, j'ai constaté une chose : les ados et les mamans ont un fruit défendu en commun. La jalousie.

Pas la mienne. Ma future fille ne sera pas comme ça. 


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C'est la première chose à laquelle j'ai pensé quand j'ai su que j'aurais une fille.
Je ne veux pas qu'elle vive comme moi.
J'ai passé mon adolescence complexée par les cheveux qu'on me forçait à couper au carré, mes bagues en haut et en bas, les deux tenues dans mon placard, une pour chaque semaine, comme ça on alterne, et la boule au ventre quand j'allais au collège.
J'ai tellement, tellement envié les beaux visages des stars du lycée, leurs cheveux, leur sourire, et par dessus tout, leur naturel. Je rêvais d'être une de ces beautés spontanées, qui n'ont besoin de rien pour briller, même en sortant de piscine, même après le cours de sport. Je ne les ai jamais détestées ou jalousées, je les admirais. Je savais que je n'étais pas dans ce club. Je n'étais pas aigrie, je voulais juste être leur amie. Leur ressembler un peu. 
Je n'ai détesté dans ma vie que les gens qui m'ont fait du mal. Beaux et moches confondus. La méchanceté est toujours laide. Un jour j'ai eu droit au maquillage, j'ai commencé les UV, complété ma garde-robe, maladivement, jusqu'à maintenant. Toutes les moqueries de la Terre n'ont jamais réussi à me blinder, j'en suis restée cabossée.  

J'ai vieilli, maintenant on me dit que je suis jolie, et au fond de moi je ris. Je n'y crois pas, c'est comme mes deux profils, vous ne voyez que le bon, mais c'est l'autre qui dit la vérité, il me rappelle celle que j'ai été. 
Un jour j'ai été trop laide pour être une amie, et un jour j'ai été trop belle pour être une alliée. Il reste moi, au milieu toute seule, avec mes deux profils. Lequel on choisit ma vieille ? 
Ça a été compliqué pour moi, les femmes. Je les aime par-dessus tout. Des amies m'en ont fait baver, c'est mon problème, je ne me sens jamais assez aimée, je n'ai appelé personne "maman" depuis déjà 2 ans, et je n'ai jamais eu de grand-mère à qui offrir une rose un dimanche de Mars, pourtant je n'ai pas de tombe à fleurir, non, c'est juste qu'elles n'existent pas dans ma vie et c'est comme ça. 
J'aime les femmes plus que tout, leurs manières, leur sensibilité, j'aime les mégères et les garçons manqués, j'aime les conversations dites "de filles" sur les détails qui laissent les mecs insensibles, j'aime cette solidarité qu'il y a entre nous quand on s'y met. 

Je n'aime pas les femmes moches qui détestent les belles. Je n'aime pas les femmes simples qui méprisent les sophistiquées. Je n'aime pas les femmes pauvres qui critiquent les riches. 
En fait, je n'aime pas les femmes qui se sentent perpétuellement en compétition avec les autres femmes. 

Quand on est ado, il y a les connasses qui colportent les rumeurs, celles qui se moquent des filles encore vierges et celles qui traitent de salopes les filles qui "l'ont déjà fait". Quand j'ai intégré le monde des mamans, j'ai découvert la même rengaine sur des sujets différents, mais toujours aussi violents, entre les biberons et l'allaitement, la silhouette vite retrouvée ou le corps marqué à jamais, le bébé qui marche tard ou celui qui marche tôt, vous savez, comme si votre enfant avait déjà pris la relève de votre valeur. 

Ma fille...  Il y aura des femmes mauvaises et il y aura les autres. Celles qui sècheront tes larmes, réchaufferont ton coeur et ouvriront leur maison la veille de ton mariage pour que tu ne te prépares pas toute seule. Certaines femmes remplacent les mamans, certaines luttent pour les autres. Il y en a qui font bouger les choses, qui inspirent, qui créent, qui changent un peu la face du monde. Il y a des anonymes qui ne font rien pour la gloire mais répandent les sourires autour d'elles, juste parce qu'elles sont des femmes bien, les vraies, qui ont le coeur sur la main. 

Je lui apprendrais des choses, à ma fille. Je lui apprendrai, parce que je le crois très fort, que tout le monde est bon, au fond. Je lui dirai que les femmes sont fortes et fragiles à la fois, avec tous les défauts que cela implique, mais qu'avec le temps, un côté fait pencher l'autre, et que le reste éclabousse.
Qu'il faut les pardonner. Les encourager. Les aimer malgré tout. Qu'il faut respecter toutes les femmes, celles qui aiment les selfies et celles qui les trouvent sans intérêt. 
Je lui dirai aussi que les hommes ne sont pas les ennemis. Que je hais les pub adopteunmec qui sont humiliantes et dégradantes envers eux, et que c'est aussi un scandale, ces pubs pourries. Que les hommes et les femmes sont faits pour vivre en harmonie, d'ailleurs tu sais ton père s'est toujours levé la nuit. 

Ma fille... Ton grand-père ne m'a élevée ni comme une fille, ni comme un garçon, il m'a élevée comme son enfant, tout simplement. Je sais qu'il adore notre sale caractère à ma soeur et moi, il aime ça par-dessus tout, il nous voit comme des guerrières, il n'a jamais eu peur pour nous. Quand je m'engueulais avec lui à 16 ans, il ne m'en a jamais voulu de hausser le ton plus qu'une enfant ne devrait le faire avec ses parents, parfois même, quand j'avais un bon argument contre lui, il s'arrêtait, me souriait et marmonnait en ricanant que j'étais quand même "très intelligente". J'enrageais et aujourd'hui je bénis ces moments, mon père m'a laissé une voix pour m'exprimer, jamais il ne m'a empêchée de communiquer et surtout, il a accepté de reconnaître quand j'avais raison. Je veux être pareille avec mes enfants. Parfois c'est eux qui auront raison. Ils seront forts et ils me tiendront tête pour leurs convictions. 

Ma fille, ma chérie d'amour...
J'aimerais que tu sois une femme qui ne rabaisse pas les autres. Alors je te donnerais confiance en toi.
J'aimerais que tu sois une femme qui s'assume. Tu n'auras pas peur d'arborer fièrement ton décolleté ou ta moitié de crâne rasé si c'est ton souhait. Moi je serais fière, derrière toi. Tant que tu reste fidèle à celle que tu es. Je voudrais que tu crois en toi. 

On a encore une bonne centaine de jours de cohabitation.
Sache que je t'aime déjà.
Sache que je ne t'abandonnerai jamais.
Je suis déjà fière de tes 439g et de tes 27cm, alors je crois bien que je suis partie pour être fière de toi pour le restant de ma vie et même au paradis.
Encore une centaine de jours et après il y aura une âme de plus sur la terre. La tienne.
 J'aimerais que tu sois heureuse. J'aimerais que tu sois fière. J'aimerais que tu sois libre. Tu seras une femme forte, ma fille. 


Je ne sais pas comment seront les femmes à ton adolescence, ni plus tard si tu fais le choix de devenir maman à ton tour. Mais sache que s'il y a une femme, une seule, de qui tu n'auras jamais à douter, te méfier, une femme que tu n'auras jamais à craindre, une femme qui te verra toujours comme la plus belle du monde, qui ne voudra que ton bonheur, qui ne te laissera jamais tomber, qui pardonnera tes erreurs devant les gens et te dira si tu as eu tort seulement quand personne d'autre n'entend, ce sera moi. 

Ta maman. 

xxx



© Ourson Chéri 

Commentaires

Docteur fou alias Dolcevitaldente alias La fanatique lool a dit…
Encore une fois depuis que j'ai découvert ton blog, paroles touchantes en plein coeur. J'aurais aimé entendre ces mots de la bouche de ma mère mais malheureusement une mère et une maman ne sont pas du tout la même chose. Tu seras une maman de fille géniale pour tout ce qui t'a manqué j'en suis sûre, elle aura tout.
Xxx
Magali a dit…
Tellement beau ce témoignage, il déborde d amour ! Merci pour ton ressenti que je partage tout à fait !!! Tout comme toi je vais devenir maman d une petite fille pour juillet et tes mots raisonnent dans mon coeur ! Merci pour ta sincérité
Anonyme a dit…
ENCORE un très joli texte Delphine !
Tes mots (oui je me permets de te tutoyer car après avoir lu plusieurs de tes billets j'ai l'impression de te connaître) sont toujours très justes et très jolis.
Ils me font souvent sourire ou rire et parfois même pleurer....
Dans tous les cas, ils me touchent toujours en plein coeur...
Merci pour ça !
Christel
Sandriion a dit…
Magnifique ��
Anonyme a dit…
Je ne commente que très rarement, mais j'ai trouvé ton texte très touchant... Bravo. Je travail qu'avec des femmes et effectivement la jalousie je connais, c'est pas tout les jours faciles et des femmes qui se sentent en compétition il y en a tant que tant.. C'est dur psychologiquement ! Mais il y a aussi les autres celles qui aident qui soutiennent, et nous relèvent ! J'aime aussi regarder les femmes c'est marrant mais dans la rue je préfère presque plus Lee regarder elles que les hommes! J'aime m'inspirer de leur tenue, de leur coiffure, de leur bijoux.. Oe je suis un peut copieuse! Hi. Et ce que tu dis à ta fille est magnifique elle a déjà de la chance d'avoir une maman comme toi! Bon courage pour la suite!
Unknown a dit…
je pleure de bonheur d'emotion et d'amour pour ma fille...... merci ma delphine <3
Rachel a dit…
Tu écris magnifiquement bien et j'aime tes récits, tes pensées. A chaque fois j'ai les larmes aux yeux, parce que la jeune maman que je suis est encore toute retournée de ce qu'elle vit. J'ai un fils depuis 8 mois 13 jours 17 heures et 40 min, et malgré les difficultés que j'ai rencontrées au début de ma maternité, j'essaye chaque jour de lui apporter ce dont il a besoin et même plus, et je pense beaucoup à l'avenir. A bientôt sur ton blog.
Delphine Maarek a dit…
@Docteur Fou
Tes paroles me touchent en plein coeur. Tu as très joliment résumé ça. Merci beaucoup <3

@Magali
Merci infiniment... et belle grossesse à toi alors :)

@Christel
Merci beaucoup!

@Sandriion
Merci!

@Anonyme
Merci à toi. Je suis sûre qu'on adore toutes cela aussi, s'inspirer et se regarder les unes les autres, tant que c'est fait avec bienveillance, je trouve cela sain et encourageant d'être ainsi entre femmes !

@Clara
Ma Clara <3

@Rachel
Merci beaucoup... Plein de bonheur avec ton petit garçon qui doit t'en apporter tant.
julie a dit…
Encore un magnifique article ... Comme tu sais trouver les mots ...Je partage tellement ton ressenti de femme , ces difficultés rencontrées lors de l adolescence , la méchanceté de certaines , mon admiration envers d autres ... Comme ta fille sera fière de te lire dans quelques années et de voir la maman qu elle a la chance d avoir . Merci pour cet article si touchant et toujours si honnête