Un + nous = Quatre

Il est 7h00. Le silence règne. Ça fait bien une heure que mes yeux sont ouverts et que la chaleur moite m'empêche de me rendormir. C'est calme. Tellement calme.
Elle est réveillée, elle aussi. Elle me tient compagnie. 


Je m'ennuie. Et je me rappelle.



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Bordel de merde, est-ce qu'un jour, à nouveau dans ma vie, je vais dormir ? Dormir, vous savez, comme les gens normaux font. Aller se coucher, se dire bonne nuit, et rouvrir les yeux le lendemain, quand il fait jour. Se lever, faire couler un café, et se demander comment sera la météo de la journée.
Ça n'existe plus ça chez moi, j'ai un bébé moi madame, un bébé qui ne dort qu'aux bras, un bébé avec un reflux gastro-œsophagien, un bébé qui fait des micros siestes de 20 minutes plusieurs fois dans la journée, seulement si je le berce, et dès je le repose il se réveille, direct. Un bébé qui, à quelques semaines de vie seulement, pleure si je sors de la pièce. Bref j'ai un bébé relou.

Il ne dort pas mais il ne joue pas, trop petit, alors il pleure, il s'ennuie, c'est comme ça toute la journée et parfois même toute la nuit, l'éveil c'est 24/24 les gars, on s'enfile un bib' et on discute une heure avant de se rendormir.
Un bébé qui fera finalement ses nuits assez tôt, vers 3 mois, alors que ça nous semblait si interminable. 
Et puis les perdra à 4 à cause des deux dents du bas qui se pointeront en même temps et nous priveront de sommeil pendant plusieurs semaines, ces nuits de "réveil-tétine" 4, 5, 10 fois par nuit, on lui remet la tétine et on s'en va, quand on a de la chance, sinon il est bel et bien réveillé et il faut lui tenir compagnie, bercer, bercer, bercer. Je voulais baisser le babyphone au minimum et oublier que mon réveil sonnait deux heures plus tard pour le travail. Mais il aura fallu le rendormir en le berçant, inlassablement, compter les minutes, chanter des albums entiers dans ma tête pour passer le temps, essayer de m'assoir parfois et le voir rouvrir les yeux, soupirer intérieurement et me relever, abandonner souvent, passer le relais au mari, il est 6h00, c'est l'heure de la douche, de l'anticernes, et du RER. Hé, n'oublie pas de sourire, tu as la chance d'être mère.

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Les premiers mois de vie d'Aaron étaient durs à gérer. Je me sentais seule. J'ai appris à être maman dans le vif. Il y a eu beaucoup de larmes. De lui, et de moi, parfois. D'incompréhension, de mots-clés tapés sur google pour se rassurer, de clopes fumées à la fenêtre dès que j'avais une minute à tuer, de café soluble, de douches de 2 minutes chrono avec lui qui m'attend dans le transat juste à côté, et de théories à tester. J'ai eu un bébé, je ne savais pas à quoi je m'attendais, les premiers mois ont été compliqués, et puis tout s'est arrangé.
Pouf, un coup de baguette magique ou un peu de sable au-dessus de son lit, il s'est mis à dormir, même les siestes, même la journée, et sans les bras s'il vous plait.
Ça fait deux ans que je re-dors. Tellement, que je me réveille à 6h00 en me demandant quoi faire. Maintenant il fait des siestes de trois heures, sans les bras et dans son lit. Il me chasse même, un bisou sur chaque joue, un sur la bouche tétine, ça le fait rire, un micro "canin" en se serrant fort fort fort les bras autour du coup et puis il déclare "c'est tout!" en me faisant au revoir de la main.
C'est tout, à tout à l'heure, à dans 2 ou 3 heures. Le parquet grince, le Nespresso grogne bruyamment dans la cuisine, rien ne le réveillera avant.
C'est arrivé un jour, beaucoup plus tôt que je ne le croyais. J'ai retrouvé le sommeil. Pas le même. Un bébé c'est la roulette russe, c'est si l'on exclut la fièvre, les dents, la toux, le nez qui coule et les cauchemars que toutes mes nuits sont silencieuses.


Alors bien sûr que j'ai peur. Qu'est ce que vous croyez.
Pas pour mon couple, mais pour ma famille. J'ai beau m'y préparer, je ne sais pas comment la vie va se passer dans 5 semaines. J'espère que j'aurais retrouvé la forme, pour bondir du lit jusqu'au berceau, sans rouler, sans soupirer. J'espère que je n'aurais pas à me réfugier sous la douche pour avoir 5 minutes de paix pour pleurer. J'espère que je n'aurais pas besoin de fumer comme un pompier dès qu'ils sont couchés.
J'ai peur d'échouer, d'être dépassée, d'être épuisée. J'ai peur de délaisser mon fils la journée et de le réveiller la nuit à cause du bruit. J'ai peur de lui imposer cette petite sœur, et de le priver de ce qu'il a aujourd'hui. J'ai peur de ne pas la dorloter comme un premier bébé. 
J'aimerais qu'elle n'ait pas de reflux, que ses débuts soient plus faciles qu'ils ne l'ont été pour lui. Je rêve que tout se passe simplement, je rêve d'un bébé qui s'endormirai seul quand on le pose, qui ne s'impatienterai pas à la première phase d'éveil. J'aimerai être la mère organisée que j'arrive à imiter parfois, tout roule, tout est parfaitement orchestré, et puis le naturel revient au galop, ce soir ce sera steak-pommes noisettes, vous voulez du ketchup ou de la mayo ?

Il y a quelque chose qui me sauve, un peu. Je vois toujours la grenadine à moitié pleine.
Alors même si elle dort aussi peu que lui la journée, même si elle discute la nuit, même si elle a un reflux, même si elle pleure beaucoup, même si elle ne s'endort qu'aux bras, même si elle fait tout comme lui, même si elle fait tout différemment mais que c'est aussi épuisant.
Elle est ma fille.
Je lui donnerai tout ce que j'ai donné pour lui, si je pleure sous la douche, je lui chanterai quand même des comptines inventées à base de gel douche pour la faire patienter, si elle ne dort qu'aux bras, je la bercerai même par 30 degrés, si elle discute la nuit, on ira papoter dans le salon, chut ma nounouchka, ils dorment les garçons. Je craquerai sûrement, souvent, et ce sera normal. Je n'arriverai probablement pas à jouer autant avec mon grand. Je ne sais pas encore auquel des deux j'arriverai le plus à donner de mon temps, mais je m'adapterai, on trouvera, on y arrivera.



Un jour, on sera comme la famille que j'ai vu traverser l'autre jour. 

Un jour je regarderai par-dessus mon épaule en pensant à ce que je vis maintenant. Je me rappellerai sûrement ce chaos délicieux avec la même nostalgie et la même tendresse qui m'habitent quand les premiers mois d'Aaron reviennent à la surface. Même les nuits blanches ont le goût du miel, quand elles sont du passé. Parce que ce sont nos souvenirs. Un jour ils auront 7 et 5 ans et on repensera à ça.
La grossesse, la vie à trois, comment j'aurai découvert que c'est le moment d'aller à la maternité, partir de la maison avec un sac plein et un couffin vide, l'ébullition, savoir que je rentrerai avec elle dans mes bras et plus dans mon ventre, notre rencontre avec nounouchka la crevette, la réaction d'Aaron, l'adaptation, grandir à 4.
Le voir lui apprendre à marcher, l'aider à manger, la consoler quand il l'entendra pleurer.


Un jour, demain, ils feront ensemble des gâteaux l'hiver et des châteaux de sable l'été. Il lui apprendra les gros mots qu'il aura entendu à l'école, lui dira la vérité sur le Père Noël et inventera un langage codé étrange que seuls nous les parents ringards ne comprendront pas.
Finalement, je crois que cette petite soeur, je ne lui impose pas. Je lui offre.
Je crois très fort qu'il sera le meilleur grand frère.
Je crois que tout ira bien.

Je crois que ce jour arrivera bien trop vite. 
Alors je vais profiter du silence, jeter un oeil au travers de la porte pour le voir dormir, puis dans la chambre rose replier pour la centième fois les body chamallow qui attendent patiemment dans le tiroir du haut.

On y est arrivé pour lui. On y arrivera pour elle.
Il nous a rendu plus heureux qu'on ne l'a jamais été.
La seule question qu'il me reste, finalement, c'est, pourra-t-on l'être encore plus après son arrivée ?

Je crois bien que oui. Et j'ai encore plus hâte de la rencontrer.

©Ourson Chéri




Commentaires

Anonyme a dit…
Merci Delphine
Faizette a dit…
Magnifique article, je découvre tout juste ton blog. Et ça me donne envie de tout lire. C'est rassurant de lire que tout n'est pas parfait. Par moment je me demandais si j'étais "normale" si les pleurs à la fin c'était pas de ma faute, mon agacement...

Bref Merci.

Et belle rencontre avec ta puce❤️
Charlotte a dit…
Bonjour, je ne commente jamais votre blog mais lis avec délice vos articles ! Un mot pour vous l'assurer : oui c'est un cadeau que vous lui faites ! Maman de 2 enfants de 2 ans d'écart, je peux vous le confirmer ! J'ai d'ailleurs commencer à lire votre blog pendant les tétées de mon petit dernier la nuit, beaucoup plus zen que pour l'aînée car il y a une grosse différence : on sait que ça passe ! on sait qu'un jour ils dorment (et que nous aussi !) et on sait que le bonheur est là, avec nous...
Je vous souhaite une belle fin de grossesse et une belle rencontre à 2, puis 3 puis 4 !
Christina a dit…
Mon premier bout, petit garçon, a pleuré sans arrêt aussi à sa naissance... je ne savais pas le déposer, je ne savais pas prendre ma douche, je ne savais rien faire, à part déprimer... je pensait avoir foutu ma vie en l'air, j'étais épuisée et désespérée... à 3 mois, il a commencé à passer ses nuits et tout allait mieux (et à 4,5 ans, c'est toujours un gros dormeur).
Quand il avait 2 ans et 3 mois, sa petite sœur est née. J'avais peur de recommencer, de passer à nouveau 3 mois de galère et de pleurs... Bien évidemment, elle a pleuré, elle a des coliques, etc., comme tout nouveau né. Mais elle faisait des siestes de 1-2h plusieurs fois la journée dans son parc ou dans son lit, qui me permettaient de prendre ma douche, de faire des lessives ou simplement de me reposer! Elle a passé ses nuits à 5 semaines, l'allaitement fonctionnait beaucoup plus simplement qu'avec le premier! Tout était nettement plus zen avec elle!
Je vous souhaite la même chose, un enfant n'est pas l'autre et pour un deuxième, on est naturellement plus calme et posé.
Après, la gestion de deux enfants en même temps est clairement plus stressante qu'avec un seul... Mais on s'y habitue! :-)
Je vous souhaite plein de bonheur à 4!

Christina
Drine_q a dit…
Que c'est beau Et émouvant 😍
Anne a dit…
Les bons mots, les émotions vraies, les peurs partagées... Quel beau texte que je découvre !! Je ne vous connais pas, mais je vous souhaite tout le bonheur du monde !!
Anonyme a dit…
Whaoo! Merci pour ce récit tellement bien écrit! Merci aussi de me donner une autre facette de l'expérience qui m'attend et de me rassurer sur les sentiments que je ressens en ce moment. Angoisses et joies de la vie à quatre se mêlent, mais je reste persuadée que ce deuxième enfant est un cadeau pour nous trois.