Une virée jusqu'à la lune

Vous l'avez vu ? C'est un de mes préférés. Léon. Je l'adore parce qu'il ressemble à un ours bourru et que ça me touche, les hommes comme lui, ceux qui aiment sans le crier sur les toits contrairement à moi, ceux qui font semblant de ne rien ressentir pour personne mais qui aiment une plante verte plus que leur vie. Quand Mathilda lui demande si c'est comme ça toujours, ou juste quand on est enfant, il lui répond "c'est comme ça toute la vie". Oh je l'adore ce Léon, mais Mathilda, j'ai quelque chose à te dire. C'est un menteur. Tout s'arrange. Promis.

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Les liens du sang ne servent à rien.
De la merde, du vent, de la poudre aux yeux, souffle un peu, que je t'aveugle.
Ah oui, c'est moche, quand on le dit en public, hein, ça vous crispe, ça ne passe pas, jamais, regards choqués, yeux écarquillés, petit air désolé.
Ne soyez pas désolés, c'est la vie qui est comme ça, ça vous fait mal d'entendre la vérité, mais ce qui fait vraiment mal, c'est d'y avoir cru pendant toutes ces années.
On grandit en pensant que la famille c'est tout, nos racines, nos ailes, nos murs et notre toit.
Parfois, Mathilda, ça ne marche pas comme ça. Parfois la famille compte moins que les amis, heureusement qu'eux, on les choisit. Parfois le toit fuit, les murs ont trop d'oreilles, les racines sont pourries et les ailes nous empêchent de voler. Il y a ceux qui sont là, et il y a tout le reste, ceux à qui on ouvre toujours la porte au nom de ce qui coule dans nos veines, et qui trahissent, presque à rythme régulier, une fois de temps en temps, une fois tous les deux ans.

Un jour d'automne 2007, en cours, j'ai envoyé une boulette en papier à l'inconnu assis deux rangs devant moi. Je ne l'avais même pas vu, on avait écrit "t'es craquant" juste pour rigoler, il s'était pas démonté et avait répondu "merci c'est gentil", plus tard je l'ai vu, en salle informatique, pendant les exercices de groupes, en soirée, en boîte, la nuit, le jour, au réveil, au coucher, chez lui, chez moi, chez des amis, partout. On ne se quittait plus, c'était mon ami, celui avec qui on ne sait pas vraiment où on en est. Il avait les cheveux coupés beaucoup trop court, un style un peu douteux (les marcels en boîte, ça vous parle à vous?), et un charme insupportable, trop sûr de lui malgré ses mille défauts, il me regardait longtemps et dès qu'il souriait ça faisait boum, mon coeur lâchait comme si j'étais dans Space Mountain. J'avais 19 ans et j'étais amoureuse d'un mec de ma classe, voilà, c'est aussi simple que ça.
Ce mec, je l'ai épousé, on a fait deux bébés, et il n'a jamais, jamais, de toute sa vie, lâché ma main depuis la boulette de papier.

On n'était pas du même sang (heureusement), pas de la même religion, on avait rien de commun dans nos passés, mais on ne s'est jamais quittés. Un jour, les milliers de kilomètres qui nous ont séparés quelques mois physiquement ont failli avoir raison de nous, je me souviens comme on pleurait au téléphone, c'est pas possible, on peut pas se quitter comme ça, juste à cause de quelques mois, juste à cause d'une étoile ou d'une croix, entre nous c'est tellement plus fort, je t'en prie, ne me quitte pas. On a pleuré, pleuré, pleuré, on ne se voyait pas mais les larmes tombaient au bout du fil, même silencieusement on les entendait. On a raccroché la mort dans l'âme, et puis on s'est rappelé juste après, il m'a dit qu'il avait eu peur, il m'a dit que j'étais la première fille qu'il aimait, il m'a dit qu'on était pas ensemble par hasard, il m'a dit qu'il était heureux avec moi. Celui qui ne disait rien, qui ne montrait rien, qui gardait tout, bien enfoui, caché à double tour sous cet horrible marcel, ça faisait 5 mois et il me faisait une promesse, déjà, mais une promesse qui n'allait jamais briser.

Au début c'était juste mon mec, dans l'ordre des priorités sociales et familiales, on le place généralement assez loin, vous savez avant il y a d'abord vos parents, vos frères et soeurs, et puis ça s'étend. Il est devenu mon fiancé, mon mari, le père de mon fils, le père de ma fille à naître. Il a vu les allers-venues, il a essuyé mes trop nombreuses larmes, lui, si fort, si indépendant, il a fait avec mes faiblesses, il a assisté à tout, impuissant, et il m'a donné ce qui lui restait, son amour et sa loyauté.

On n'est pas du même sang, mais c'est lui ma famille. Il a fait avec moi un peu comme Léon et la plante verte, à part que je coûte beaucoup plus cher en fringues et que je parle sans arrêt, j'étais sûrement une fade et insipide gamine de 19 ans qui allait au Dupleix et buvait pas mal de vin blanc, mais il est le seul à avoir vu plus loin que les escarpins et les micro-jupes, et en avoir pris soin. Je n'étais pas digne d'être aimée, jamais choisie en premier, assise au fond près du radiateur, ni la première ni la dernière, à parler trop fort et répondre à ses professeurs, à choper des avertissement de comportement, trop de bavardages, peur des commérages et encore plus de rentrer à la maison le soir, puis la majorité, les robes trop courtes même en hiver, l'envie d'être aimée pour de vrai et d'aimer aussi, plus que sa vie, y penser quand on écoute la musique en regardant par la fenêtre et attendre que ça se réalise vraiment. Mathilda, parfois, on est jeune, on a la santé, on mange à notre faim, mais tout ça ne suffit pas, on est triste, on sourit quand ça pleure à l'intérieur, ça ressemble aux dimanches pourris tout gris sous la pluie, c'est un état, c'est le spleen, c'était tout moi jusqu'à lui.

Il y a eu tous les gens qui m'aimaient vraiment, ce n'est pas toujours ceux que l'on attend, mais depuis eux, il y a le soleil, tu vois Mathilda, la vie ce n'est pas si terrible, si tu l'aimes, que tu l'arroses, que tu choisis le bon endroit, celui avec un peu de jour et de lumière, la vie sera vraiment jolie, pour moi c'était lui, ça a été ma lumière, mes racines les plus solides et mes ailes les plus immenses.
Mon pari, maintenant, c'est de redonner leurs lettres de noblesse à cette famille dont on parle tant, à travers mes enfants. D'être un toit solide, et les ailes dont ils auront besoin aussi quand ils seront grands. De leur épargner la fausseté et les liens clignotants qui m'ont tellement affectée auparavant.

Voilà, tu vois, il y a ceux à qui tu t'accroches fidèlement, peut-être un peu trop, peut-être bêtement, et il y a ceux qui t'accompagnent à travers les tempêtes alors que tu n'en demandais pas tant.
C'est le coeur qui parle, c'est le vrai amour.
Et crois-moi Mathilda, il est encore plus fort que le sang.










Commentaires

Unknown a dit…
J'attends tes textes avec impatience à chaque fois. Je ne t'ai jamais écrit et à la lecture de ce texte, j'ose...
J'adore te lire, j'aime la sincérité qui s'y dégage, la force de ta plume qui contraste avec la fragilité de ton âme. Le yin et le yang...Le blond, le brun. Les talons, les baskets. Les robes, les jeans...
Tout cela donne un tableau lumineux, qui donne envie de te connaître, rire et échanger avec toi.

Je souhaite longue vie à ton blog, à tes écrits tous plus beaux les uns que les autres.
Continue de nous faire part de ton bonheur que tu mérites et à pousser les coups de gueule qu'ils méritent....


Jeune maman d'une petite fille de l'âge d'Aaron et d'un petit garçon de 6 mois.
Rosalie a dit…
Je lève mon verre de vin blanc au beau et grand amour, qu'il dure toujours et éperdument.
Catherine a dit…
Touchant, comme à chaque fois. J'aime beaucoup de te lire. Je ne m'en lasse pas.
Merci pour tes mots, ils m'apportent du baume au cœur.

Belle continuation à toi et tes amours.

Catherine, maman blogueuse fan d'Ourson Chéri.
Alexandrine a dit…
Mon article préféré 💙
Chez.luce a dit…
Très beau texte, vraiment touchant et poignant 😘