Il était une fois... Neva
J'entends les bips et le silence. On a bien essayé de demander, mais impossible de baisser le volume de ces machines qui sonnent depuis plus de 6 heures. Je suis en salle de naissance, nous sommes le 4 juillet 2017 et il est 23h30. Dans quelques heures, ce sera fini, on pourra enfin monter en chambre. D'ici là, on attends. Je suis branchée de partout et les cathéters me font mal. Je pense aux films américains, quand la nana se réveille perfusée, arrache tout, et s'en va. Kill Bill se sera pour une autre fois. Je suis éteinte, mais confiante. Il ferme les yeux en face de moi, sur ce fauteuil qui l'a accueilli depuis de si longues heures. Elle, ma merveille, dort à ma gauche, dans son berceau transparent. Je lui suis reconnaissante d'être si calme, car je ne pourrais pas m'en occuper même si je le voulais. J'essaie de fermer les yeux aussi, les bips me bercent et le cauchemar ressurgit.
4 juillet, 16h30
"Elle saigne ! Elle saigne !"
Tout aurait pu s'arrêter là.
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Les heures ont passé, le brancardier m'a demandé de me lever pour m'assoir sur le fauteuil roulant et remonter en chambre. On n'attendait que ça, deux heures que j'avais accouché, déjà.
Quand il est arrivé, David était évidemment parti s'acheter un coca.
Je me suis levée et le cauchemar a commencé. Les étoiles partout, les douleurs de l'accouchement qui remontaient jusqu'au fond de mon ventre, la panique dans les yeux du mec incrédule, les sages-femmes déconcertées, David et sa canette, l'interrogation.
Rien depuis hier soir, non, d'accord pour le pain et la compote merci beaucoup.
4 juillet, 16h30
"Elle saigne ! Elle saigne !"
En l'espace de 30 secondes, dix personnes font irruption dans la salle de naissance avec autant de machines et d'attirail que leur bras peuvent soutenir. Plus personne ne prend le temps de se présenter dans un sourire poli, parce qu'il n'y a plus de temps pour la politesse. On lui demande de sortir, tout de suite, avec Neva, sortez monsieur, il faut que vous attendiez dans le couloir, on ne peut pas vous garder ici. La fourmilière s'agite et le presse dehors, il ne nous reste que 3 secondes pour échanger un regard, un dernier, que je n'oublierai jamais. Un regard qui me hante encore la nuit. Nos deux visages, pâles comme la mort, qui se fixent durement, tétanisés par la peur, rongés par l'angoisse et l'incompréhension. Nos adieux silencieux.
Perfusée partout sur les bras, on m'assoit, la tension chute à 6, c'est la fin, je crois, ma tête ne suit plus, j'abandonne, je ferme les yeux et je pense à eux, en me demandant, pourquoi moi, pourquoi maintenant.
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4 juillet, 3h30
Les contractions me réveillent. Ça m'est déjà arrivé avant, alors je n'y crois pas vraiment. Comme pour Aaron, je décide que c'est la perte des eaux qui me fera bouger de chez moi à nouveau. Marre des fausses alertes. Je vais prendre un bain, mais apparemment il n'y a pas d'eau chaude chez moi à 4 heures du matin. Alors je m'occupe, comme je peux, en comptant d'un coin de l'oeil quand même. Je n'ouvre pas l'application contractions par superstition, je regarde juste l'heure, elles sont encore régulières ces connasses, est-ce que cette fois c'est la bonne ? Le plus dur c'est pour lui, travail ou pas travail ce matin, on lui repasse une chemise ou bien ?
Les contractions me réveillent. Ça m'est déjà arrivé avant, alors je n'y crois pas vraiment. Comme pour Aaron, je décide que c'est la perte des eaux qui me fera bouger de chez moi à nouveau. Marre des fausses alertes. Je vais prendre un bain, mais apparemment il n'y a pas d'eau chaude chez moi à 4 heures du matin. Alors je m'occupe, comme je peux, en comptant d'un coin de l'oeil quand même. Je n'ouvre pas l'application contractions par superstition, je regarde juste l'heure, elles sont encore régulières ces connasses, est-ce que cette fois c'est la bonne ? Le plus dur c'est pour lui, travail ou pas travail ce matin, on lui repasse une chemise ou bien ?
Je me plie en deux, j'avale un spasfon, déjà 6 heures, cette fois l'eau est chaude et la maison toujours endormie, je me plonge dans la mousse et j'attends. Je constate amèrement qu'elles sont devenues plus espacées et moins douloureuses, je sors de là en affirmant qu'il peut aller travailler, c'est une journée comme les autres finalement, désolée.
Après quelques minutes hors de l'eau, elles reviennent, sournoisement, me collent un doute, à nouveau, alors je décide d'aller repasser une chemise et discrètement j'envoie un texto à mon gynéco, mon nouveau meilleur ami, il me répond immédiatement, il est de garde et il m'attend. Pour booster mon karma, je finis la chemise. Au pire elle sera prête pour notre retour bredouille à la maison.
Bien s'appliquer, entre les boutons, tiens encore une contraction, puis les manches, bien droites, et en voilà une autre, voilà, le col, bon ben je crois qu'on va quand même y aller, tu sais.
Bien s'appliquer, entre les boutons, tiens encore une contraction, puis les manches, bien droites, et en voilà une autre, voilà, le col, bon ben je crois qu'on va quand même y aller, tu sais.
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La dernière fois qu'on a pris ce chemin, on a fait des vidéos. On s'est filmés en train de vivre les prémices de l'accouchement. C'était mon rêve, avoir des images de ces moments si précieux. On m'a renvoyée chez moi et je me suis sentie tellement conne. Je n'ai jamais regardé ces vidéos, mais je ne les ai jamais supprimées. J'attendais d'accoucher pour de bon pour les revoir sans amertume. Cette fois, je ne filme rien. Pas une petite photo, pas de selfie avec mon monito, pas de pieds qui marchent jusqu'aux urgences. Rien.
On dépose Aaron en répétant à tout le monde qu'on y va juste par précaution, pour vérifier, mais qu'on est pas sûrs que ce soit ça, on prépare les autres pour nous conditionner nous aussi, comme ça le verdict fera moins mal, on s'en doutait, vous savez, on y est juste allés par sécurité.
Je continue de compter, une contraction toutes les deux chansons, c'est pas beaucoup, et si je m'étais affolée toute seule, j'aurais encore mobilisé toute ma famille pour rien, merde, qu'est-ce que j'ai fait, tiens une nouvelle. 7 minutes cette fois.
Sonner, expliquer, s'installer, attendre, être auscultée, attendre encore, écouter, monitorer, refuser de donner le prénom, ah non, je ne vous dis rien, pas tant que vous êtes sûre de me garder.
Aller marcher, comme tant redouté. Et si jamais ce n'était pas ça, et si jamais ça s'arrêtait, ok je reviens, à dix heures et demi, et on verra si c'est bien pour aujourd'hui.
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Aller marcher, comme tant redouté. Et si jamais ce n'était pas ça, et si jamais ça s'arrêtait, ok je reviens, à dix heures et demi, et on verra si c'est bien pour aujourd'hui.
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J'ai tenu jusqu'à 10h10. Le soleil brille, l'air est doux, mais je marche pliée en deux et les 20 dernières minutes me semblent une éternité.
Je sonne. Coucou, je suis revenue. Oui, déjà. On m'installe à nouveau. Je me rallonge en regardant le plafond. Elle sourit.
Bon, ben, vous allez devoir me donner le prénom.
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Je passe immédiatement en salle de naissance et très vite, on me pose la péridurale. J'appréhende beaucoup, parce qu'elle ne m'a pas fait mal pour Aaron et je crains de souffrir cette fois-ci. Finalement, les contractions sont telles que cette piqûre est un véritable soulagement.
Je plane à nouveau. Nous sommes le mardi 4 juillet, il est 11h15 et je vais rencontrer ma fille. Je redescends de mon nuage quand on m'annonce que le travail n'avance pas assez vite et qu'on va rompre les membranes pour donner un coup de fouet.
Ma sirène sera restée dans sa piscine jusqu'au bout. Moi qui croyais dur comme fer que je perdrais les eaux à nouveau, je me suis plantée. Comme d'habitude, on fait des projets, et la vie rit dans son coin, parce qu'elle seule sait.
Les eaux sont perdues, et ma bonne humeur aussi, la péridurale s'est comme envolée depuis, chaque contraction m'arrache des hurlements de douleur, l'anesthésiste réinjecte dans ma perfusion, David serre ma main et appuie frénétiquement sur le bouton pour me renvoyer des doses, les sages-femmes s'agitent autour de moi, je suis passée de 2 à 5 en quelques minutes, mais les secondes sont des heures, chaque fin de contraction j'angoisse pour la suivante, finalement la décision est prise, on refait une nouvelle péridurale, restez immobile madame, voilà, ne bougez pas, ça va aller, d'accord, tout va bien se passer. Je vis probablement les moments les plus douloureux de toute ma vie, David est sorti alors je réclame la main de la sage-femme, je sens la désolation dans ses yeux, je fixe le mur en chuchotant des incantations sans aucun sens, je répète Aaron, David, Aaron, David, leur pensée me redonne un peu de courage, et puis on m'annonce fièrement que c'est fait, que tout va bien se passer maintenant. A peine rallongée, je sais que c'est le moment. Dilatation complète, pas le temps de laisser agir la deuxième péri. Il me tient la main à nouveau, il me répète que je suis forte, je ne le crois pas vu mon piteux état, mais je décide de l'écouter. Parce que c'est l'heure.
Tu ne réfléchis plus maintenant et tu te démerdes, ok, cette fois, pas d'instrument, on va la sortir toute seule comme une grande, on va oublier qu'on morfle sa race, on va penser à elle, juste elle, plus de douleur, on l'oublie la douleur, les contractions, on les oublie aussi, on pense à elle, juste voir son visage, sentir son minuscule corps tout chaud et tout sale, on donne tout ce qu'on a au fond de ses tripes, ça va marcher, et dans quelques minutes, une nouvelle vie commencera, tu pourras entendre sa voix, enfin, et l'aimer pour l'éternité.
Il est 13h43 quand je tends mes bras pour l'attraper et la serrer fort contre moi. C'est comme je l'avais imaginé. Je revivrais 100 fois les mêmes contractions, la double péri, la rupture des membranes et tout le faux-travail que j'ai fait à la maison depuis des semaines, juste pour vivre à nouveau ce moment-là. La plénitude absolue. Son hurlement résonne dans toute la pièce, ce cri que l'on attend depuis le jour où l'on a fait pipi sur un bâtonnet et qu'on a su que l'on était deux. Ce cri auquel on se raccroche quand on vomit jour et nuit. 10 ans que je rêvais d'aller en Thaïlande, il a fallu que j'y aille enceinte de 13 semaines, que je passe 15 jours à maudire le pays et la citronnelle, oui ce premier trimestre a été un enfer, mais maintenant que j'entends ton cri merveilleux, je sais pourquoi, oh oui ma Neva, je le referais, 10, 20, 50 fois pour toi.
Elle est là, naturellement, sans instrument, c'était mon voeu le plus cher, il s'est réalisé, je l'ai prise contre moi, voilà, elle est là, 13h43.
Le voir couper le cordon, avoir droit au peau à peau, et se souvenir de cette phrase idiote, si vraie, qu'on entend trop souvent, "chaque accouchement est différent".
Le silence.
Tout s'est bien passé, tout le monde est sorti de la pièce, il ne reste plus que nous trois, avec Aaron dans un coin de nos têtes, voilà, on est 4, tu te rends comptes ? Je nous revois encore nous chauffer au Duplex à 18 ans, un vodka-pomme et un whisky-coca, le noir sous les yeux à l'aube, les conversations sur msn, ce fameux soir de novembre (tmtc), mon jean avec les têtes de mort en strass sur les fesses, la classe absolue, et puis 2009, notre année, enfin, celle où l'on s'est décidés, ton départ pour un an, les larmes cachées à l'aéroport parce que je ne voulais pas pleurer devant tes parents, les marathons Seigneur des Anneaux et Star Wars qu'on faisait le week-end quand on avait pas d'enfants, pyjama et plateaux télé pendant 48 heures sans mettre le nez dehors, ILY, Jupiter, Crabe, Sale Gosse, Chéri, est-ce que tu veux m'épouser.
Dix ans que je te connais.
Nous y voilà.
Tout s'est bien passé, tout le monde est sorti de la pièce, il ne reste plus que nous trois, avec Aaron dans un coin de nos têtes, voilà, on est 4, tu te rends comptes ? Je nous revois encore nous chauffer au Duplex à 18 ans, un vodka-pomme et un whisky-coca, le noir sous les yeux à l'aube, les conversations sur msn, ce fameux soir de novembre (tmtc), mon jean avec les têtes de mort en strass sur les fesses, la classe absolue, et puis 2009, notre année, enfin, celle où l'on s'est décidés, ton départ pour un an, les larmes cachées à l'aéroport parce que je ne voulais pas pleurer devant tes parents, les marathons Seigneur des Anneaux et Star Wars qu'on faisait le week-end quand on avait pas d'enfants, pyjama et plateaux télé pendant 48 heures sans mettre le nez dehors, ILY, Jupiter, Crabe, Sale Gosse, Chéri, est-ce que tu veux m'épouser.
Dix ans que je te connais.
Nous y voilà.
Aaron, 13h23.
Neva, 13h43.
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Tout aurait pu s'arrêter là.
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Les heures ont passé, le brancardier m'a demandé de me lever pour m'assoir sur le fauteuil roulant et remonter en chambre. On n'attendait que ça, deux heures que j'avais accouché, déjà.
Quand il est arrivé, David était évidemment parti s'acheter un coca.
Je me suis levée et le cauchemar a commencé. Les étoiles partout, les douleurs de l'accouchement qui remontaient jusqu'au fond de mon ventre, la panique dans les yeux du mec incrédule, les sages-femmes déconcertées, David et sa canette, l'interrogation.
Rien depuis hier soir, non, d'accord pour le pain et la compote merci beaucoup.
Et puis la descente aux enfers. Le lit rouge vermillon et le visage de la sage-femme qui se décompose sous mes yeux.
"Elle saigne ! Elle saigne !"
"Elle saigne ! Elle saigne !"
En l'espace de 30 secondes, dix personnes font irruption dans la salle de naissance avec autant de machines et d'attirail que leur bras peuvent soutenir. Plus personne ne prend le temps de se présenter dans un sourire poli, parce qu'il n'y a plus de temps pour la politesse. On lui demande de sortir, tout de suite, avec Neva, sortez monsieur, il faut que vous attendiez dans le couloir, on ne peut pas vous garder ici. La fourmilière s'agite et le presse dehors, il ne nous reste que 3 secondes pour échanger un regard, un dernier, que je n'oublierai jamais. Un regard qui me hante encore la nuit. Nos deux visages, pâles comme la mort, qui se fixent durement, tétanisés par la peur, rongés par l'angoisse et l'incompréhension. Dans ma tête, c'est très clair, ce sont des adieux silencieux. Si tu savais comme je suis désolée, si tu savais comme je m'en veux.
J'entends anesthésie générale, puis ça parle de la compote, ils s'embrouillent, ça ne leur convient pas, on ne peut plus m'emmener au bloc à cause de la compote je crois, il revient, rachi-anesthésie alors, on me colle un masque à oxygène sur le visage, perfusée partout sur les bras, on m'assoit, la tension chute à 6, c'est la fin je crois, ma tête ne suit plus, j'abandonne, je ferme les yeux et je pense à eux, en me demandant, pourquoi moi, pourquoi maintenant.
On me parle très gentiment. On finit par me rassurer. Vous avez fait une hémorragie madame. La sage-femme s'excuse 10 fois comme si c'était de sa faute. Je l'aime bien, et elle me fait de la peine, j'ai bien vu que ce n'était pas de sa faute, qu'elle avait tout bien surveillé. Ça arrive, parait-il. 2 heures après l'accouchement, plus rarement. Mais ils ont tous repris un visage confiant. On m'explique petit à petit, on me parle d'atonie de l'utérus. Je reprends mes esprits et la journaliste en moi se réveille soudainement. Je veux comprendre. Je pose un milliard de questions. Le médecin répond à tout, il me fait un cours, une dissertation. Je vais devoir rester là encore 6 à 7 heures, le temps que les machines travaillent pour moi.
Finalement, je ne vais pas mourir aujourd'hui. Les bips commencent, il n'y a plus que les 3 cathéters qui me font mal dans les bras, mais pour le reste, ça va.
La porte s'ouvre. C'est lui, avec le berceau.
Je m'effondre. Cette seconde est gravée en moi jusqu'à la fin des temps, on est blancs, rouges, verts, cernés, exténués. Mais je revois enfin ton visage et tu es le plus beau de la Terre, est-ce que tu peux deviner comme je t'aime à cet instant ? Jusqu'au bout du monde, tu m'entends.
J'ai eu tellement, tellement peur de vous perdre. Elle qui vient d'arriver et que j'ai cru abandonner. Elle, si sage et si rose, si belle, si vivante, si parfaite. Ma merveille.
Lui qui n'est pas là mais qui m'a tellement aidé, toute la journée, Ayone, mon fils, mon premier bébé.
C'est la première fois de ma vie que je pleure de soulagement. Ce sont des larmes d'amour et de peur, des larmes qui coulent pour les câlins que je ne peux pas leur donner, bloquée dans mon lit avec mon masque et toute perfusée.
On n'en parlera pas, pas tout de suite. On se regardera surtout, en s'essuyant les joues. On se promettra tout ce qu'on s'était déjà dit le 26 mai 2013, plus fort, plus vrai, plus éternel encore. On s'aimera, je crois, encore plus, bien que j'aurai juré hier que c'était impossible. On la contemplera, longtemps, après tout il nous reste encore 6 heures à passer là-dedans, avec les bips qui résonnent toutes les secondes, et le réseau qui ne passe pas.
Le médecin vient faire une échographie. Il nous précise qu'il faudra bien penser à le mentionner, au prochain enfant, que j'ai eu une hémorragie pour le précédent. On sourit en se regardant. On voulait rester 4, mais qui sait d'ici là ? Oui, docteur, on n'oubliera pas.
Elle est belle, beaucoup trop belle, ma sirène. J'ai tellement hâte de te découvrir, connaître tes goûts, voir le monde à travers tes yeux, te prêter mes chaussures, te dire comme je t'ai attendue, comme je t'aimais déjà. Aujourd'hui je t'ai donné la vie et j'ai cru y laisser la mienne. Mais je ne changerai rien à ta naissance, pas un détail, rien de rien, tu es l'autre plus beau jour de ma vie, vous êtes mes trois diamants réunis, les bips sonnent, vous dormez tous, j'ai eu peur, très peur, pas du sommeil éternel, mais de vous abandonner, vous imaginer tristes sans moi, les putains de bips sonnent encore, je les aime même si je les maudis, ils m'empêchent de dormir mais ils me disent que je suis en vie.
Si vous saviez, mes trois amours, comme je vais vous aimer.
Encore plus fort à partir d'aujourd'hui.
A notre vie à quatre.
A notre amour éternel.
Merci pour tout ce que tu m'as déjà appris.
Bienvenue au monde, ma fille, Neva, Rachel.
J'entends anesthésie générale, puis ça parle de la compote, ils s'embrouillent, ça ne leur convient pas, on ne peut plus m'emmener au bloc à cause de la compote je crois, il revient, rachi-anesthésie alors, on me colle un masque à oxygène sur le visage, perfusée partout sur les bras, on m'assoit, la tension chute à 6, c'est la fin je crois, ma tête ne suit plus, j'abandonne, je ferme les yeux et je pense à eux, en me demandant, pourquoi moi, pourquoi maintenant.
On me parle très gentiment. On finit par me rassurer. Vous avez fait une hémorragie madame. La sage-femme s'excuse 10 fois comme si c'était de sa faute. Je l'aime bien, et elle me fait de la peine, j'ai bien vu que ce n'était pas de sa faute, qu'elle avait tout bien surveillé. Ça arrive, parait-il. 2 heures après l'accouchement, plus rarement. Mais ils ont tous repris un visage confiant. On m'explique petit à petit, on me parle d'atonie de l'utérus. Je reprends mes esprits et la journaliste en moi se réveille soudainement. Je veux comprendre. Je pose un milliard de questions. Le médecin répond à tout, il me fait un cours, une dissertation. Je vais devoir rester là encore 6 à 7 heures, le temps que les machines travaillent pour moi.
Finalement, je ne vais pas mourir aujourd'hui. Les bips commencent, il n'y a plus que les 3 cathéters qui me font mal dans les bras, mais pour le reste, ça va.
La porte s'ouvre. C'est lui, avec le berceau.
Je m'effondre. Cette seconde est gravée en moi jusqu'à la fin des temps, on est blancs, rouges, verts, cernés, exténués. Mais je revois enfin ton visage et tu es le plus beau de la Terre, est-ce que tu peux deviner comme je t'aime à cet instant ? Jusqu'au bout du monde, tu m'entends.
J'ai eu tellement, tellement peur de vous perdre. Elle qui vient d'arriver et que j'ai cru abandonner. Elle, si sage et si rose, si belle, si vivante, si parfaite. Ma merveille.
Lui qui n'est pas là mais qui m'a tellement aidé, toute la journée, Ayone, mon fils, mon premier bébé.
C'est la première fois de ma vie que je pleure de soulagement. Ce sont des larmes d'amour et de peur, des larmes qui coulent pour les câlins que je ne peux pas leur donner, bloquée dans mon lit avec mon masque et toute perfusée.
On n'en parlera pas, pas tout de suite. On se regardera surtout, en s'essuyant les joues. On se promettra tout ce qu'on s'était déjà dit le 26 mai 2013, plus fort, plus vrai, plus éternel encore. On s'aimera, je crois, encore plus, bien que j'aurai juré hier que c'était impossible. On la contemplera, longtemps, après tout il nous reste encore 6 heures à passer là-dedans, avec les bips qui résonnent toutes les secondes, et le réseau qui ne passe pas.
Le médecin vient faire une échographie. Il nous précise qu'il faudra bien penser à le mentionner, au prochain enfant, que j'ai eu une hémorragie pour le précédent. On sourit en se regardant. On voulait rester 4, mais qui sait d'ici là ? Oui, docteur, on n'oubliera pas.
Elle est belle, beaucoup trop belle, ma sirène. J'ai tellement hâte de te découvrir, connaître tes goûts, voir le monde à travers tes yeux, te prêter mes chaussures, te dire comme je t'ai attendue, comme je t'aimais déjà. Aujourd'hui je t'ai donné la vie et j'ai cru y laisser la mienne. Mais je ne changerai rien à ta naissance, pas un détail, rien de rien, tu es l'autre plus beau jour de ma vie, vous êtes mes trois diamants réunis, les bips sonnent, vous dormez tous, j'ai eu peur, très peur, pas du sommeil éternel, mais de vous abandonner, vous imaginer tristes sans moi, les putains de bips sonnent encore, je les aime même si je les maudis, ils m'empêchent de dormir mais ils me disent que je suis en vie.
Si vous saviez, mes trois amours, comme je vais vous aimer.
Encore plus fort à partir d'aujourd'hui.
A notre vie à quatre.
A notre amour éternel.
Merci pour tout ce que tu m'as déjà appris.
Bienvenue au monde, ma fille, Neva, Rachel.
Commentaires
A vos doux moments a 4.
Et moi hâte de vivre cela avec mon chéri a nouveau, en septembre.
Vous êtes super courageux , superbe famille tôut les quatre 😍😘
C'est un article boulersant Et tellement beau que je n'ai pas de mots. Les larmes montées au coin de mes yeux Et il m'était impossible de les retenir. Chaque accouchement est différent Comme tu peux le dire.
J'ai également fait une hemmoragie juste Apres la naissance de mon fils, je me souviens avoir lutter pour pouvoir garder les yeux ouverts et continuer à regarder mon amoureux et mon fils qui venait de naître, mais il m'était impossible de ne pas les fermer.
Ma tension etait en chute libre à peine quelques secondes après avoir tenu mon fils, je me souviendrai toute ma vie du regard de mon amoureux inquiet me chuchotant "ça va? Tu es sûre?" Et demander inquiet aux sages femmes Si j'allais bien.. et moi j'avais froid, terriblement froid!
Finalement tout est rentré dans l'ordre Et quand on m'a posé mon fils une 2eme fois j'ai également éclaté en larme, le soulagement. C'est incroyable sentiment inexplicable je pense.
Mais quel joli texte, Et finir sur des notes positives.. parfait!
Bienvenue à Neva, beaucoup de bonheur tous les 4.
Bises
Delphine
Ton histoire me touche car nous aussi notre date est le 26 mai mais 2010 il est toute ma vie et jespere vivre une histoire semblable à la tienne sérieusement elle fait rêver car elle est naturel sans artifice ni faux semblant elle est juste sincère et authentique.
Ton dernier article m'a toucher plus que jamais plus qu'aucun n'autre. Tu est très courageuse d'avoir raconter cela mais aussi très généreuse de le partager je ne pense pas que j'aurais pu le faire. J'ai beaucou d'administration face à ca et je te tire mon chapeau bravo pour tout. T'es enfants sont magnifique et ton couple un exemple.
Je vous souhaite à vous 4 le plus beaux et le plus grand des bonheurs, les millions et milliard d'amour qui puisse y avoir et surtout la santée. À bientôt je l'espère continue comme tu le fais.
Merci pour tout ce que tu écris. C'est toujours un réel plaisir de lire une si belle plume.
Profite bien des tiens, c'est mérité.
J'en avais les larmes aux yeux...
Une très belle vie à vous quatre ��