Pour toutes les crêpes que vous ferez s'envoler

Il l'appelle Zeva. 
On a beau lui dire Neva, ça bouge pas, c'est comme sa chambre qui devient sa "chante" et regarde qui se transforme en "daï". 

Au début il ne parlait pas beaucoup de Zeva. 
Quand elle était dans mon ventre, il y a d'abord eu le déni, puis le "toc toc debout la d'dans" qu'il faisait de temps en temps, et surtout la crème qu'il m'aidait à appliquer tous les soirs comme un rituel. 

Le 4 juillet 2017, à 13:43, mon bébé doux, mon nounours et minuscule poussin a pris 49 cm imaginaires. 
Il est devenu grand frère.  Et je vais en décevoir beaucoup mais la vérité, c'est que rien n'a été simple. 

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Je savais que je l'aimerais autant, mais je me suis surprise à avoir très peur de l'aimer plus. Ma fille. Sage, douce, innocente. Facile. Vulnérable. En face, les caprices, les colères, la provoc', les regards noirs soutenus alors qu'on a fait la grosse voix. C'est con. Mais lui est devenu un grand, avec toutes les merdes qui vont avec. Celui qu'on gronde quand il fait des bêtises, celui qui doit être plus responsable, déjà. Celui à qui on en demande tellement. On se surprend à l'engueuler pour des broutilles, tais-toi, ta sœur dort, quoi, qu'est-ce qu'il y a encore. Je l'aime mais je l'éduque alors je suis dure, ferme, autoritaire. Elle, elle a la chance d'être encore trop jeune pour tout ça, c'est un bonbon, ma brioche au sucre, tout est simple, facile, doux, elle flotte sur un nuage et m'emmène avec elle, le plus dur, c'est l'atterrissage. Parfois je n'ose pas lui faire trop de câlins devant lui. Je tais mes envolées lyriques avec un voix suraiguë pour ne pas le vexer. Je ne veux pas qu'il me voit trop tendre avec elle, je ne veux pas qu'il croit qu'il n'y a qu'avec lui je crie. 

À la maternité, il était intimidé, il a esquissé quelques sourires, beaucoup regardé au-dessus du berceau, intrigué, et puis il est vite passé à autre chose. 
On dira ce qu'on veut, pour nous rassurer et dédramatiser, on dira que c'est parce qu'il fait chaud, qu'il est fatigué, que ce sera mieux à la maison. 
Quand je suis rentrée de la maternité, mon fils était devenu une terreur. Insolent, têtu, effronté. Il nous a fallu nous armer de patience pour le recadrer sans le brusquer. Après tout on savait pourquoi il était si odieux, tout le monde vous le dira, c'est rien, c'est normal, il veut se faire remarquer, c'est un grand changement pour lui, mais toujours est-il que Zeva n'existe pas. Elle n'est pas là. D'ailleurs il fait diversion, il parle d'autre chose ou éclate de rire si on y fait allusion. 
Il a fallu des semaines. 
Il n'y a pas eu de déclic, il y a eu autre chose: un amour qui se construit. La fraternité. Elle est petite et ne fait pas grand'chose d'intéressant pour lui. Il a mis quelques temps mais je pense qu'il l'a compris. Du coup, ça a pu commencer, petit à petit, avec des banalités. 
Celles qui m'ont émues moi. 
Rincer ses cheveux quand elle prend son bain, attention ses yeux, voilà, très bien. 
Remettre sa tétine quand maman a les mains prises, bien la tenir, longtemps, sur sa bouche, avec ses petits doigts maladroits, pour être sur qu'elle ne tombe pas. 
Vouloir préparer tous les biberons. Avec le "sucre". 1, 2, 3, 5 (on boycotte le 4 chez Aaron), voiya, maintenant secoue. 

Pour moi, c'est entendre Neva éternuer et Aaron lui hurler depuis sa chambre "A tes souhaits, Zeva". Et sourire. 

La rencontre n'a pas eu cette magie parfois annoncée, les premiers temps il a fallu s'adapter, et accepter qu'il ne serait pas le grand frère protecteur et amoureux de sa sœur dès l'instant où elle serait née. 
Voilà. Ça ne sera pas comme ça chez nous. Ce sera autre chose, ce sera comme il voudra, comme il pourra. Quand il se sentira assez aimé pour baisser sa garde, quand elle sera assez grande pour lui montrer qu'elle est son alliée, quand ils joueront ensemble les jours ou maman est trop fatiguée pour la pâte à modeler et papa trop maniaque pour la peinture au doigt. Quand ils pourront se plaindre de nous et élaborer des stratégies d'attaque de derrière le canapé. 

Un jour alors qu'elle dormait à l'autre bout de l'appartement et que la famille entière jacassait sur fond de télé allumée, il a crié "la sœur pleure !!!". Tout le monde s'est arrêté. Et il avait raison. Il était tout seul à l'avoir entendue, il était le premier, il l'a scandé comme un appel au secours, ma sœur pleure, allez la chercher. 

Elle va avoir deux mois. Il va à son rythme et nous aussi. Il a rendu les jouets qu'il avait piqué en cachette pendant la grossesse, ceux qui étaient à lui avant, ceux qu'il n'avait pas encore envie de léguer, même si ça faisait des mois qu'ils étaient à la cave complètement oubliés. 

Il ne lui a pas fait tout de suite beaucoup de bisous, au début il se contentait de les envoyer avec la main. Mais il l'entend pleurer avant nous, avant moi, alors même s'il l'appelle "la sœur" ou "Zeva", du haut de ses 2 ans et ses 9 mois, je sais qu'il est un grand frère. Ni bon, ni mauvais. Un frère c'est tout. En fait, c'est déjà assez. 

Je me suis faite à l'idée qu'il lui faudrait du temps. Il est toujours mon bébé, même s'il s'habille en 4 ans. Celui à qui je fais des "attaques de bisou", à qui je donne des surnoms alambiqués, mon bonbon à la menthe, mon bébé a la pêche, mon p'tit nounours, mon amour de poussin, mon bébé doux. Je me fâche parfois, je le gronde quand il faut, mais je ne rate pas une histoire du soir, pas un câlin et surtout, pas une explication. A chaque fois que je merde, que je suis dure, que je ne joue pas assez avec lui. Je me soigne, je lui demande pardon. 
Il ne comprendra peut-être que plus tard qu'on l'aime pareil qu'elle, qu'on l'aime encore plus qu'avant, qu'on est les mêmes, juste avec un petit peu moins de temps. 
Il n'y aura pas de chouchou, pas cette histoire de petit dernier, il y aura vous deux, tout autant, tout aussi fort, tout aussi intensément. 

Il est possible que tout ne soit pas toujours rose. Il est possible que vous vous éloigniez. Un jour, après une énième dispute on vous dira peut-être "vous avez le droit de ne pas vous aimer". Mais vous êtes du même sang, vous partagerez les châteaux de sables, l'ouverture des cadeaux à Noël, les crêpes retournées à la chandeleur, les secrets chuchotés derrière les portes et les bains moussants aux Playmobil et aux Barbies. C'est comme ça, vous êtes frère et sœur. 
Elle n'a que deux mois. 
Mais vous avez toute votre vie. 









Commentaires

Aude1232 a dit…
Wouhaaaaaa ! C est tellement vrai, pur et beau. Aaron est un frère parfait, encore jeune et comme tu dis il a toute la vie pour apprendre et aimer... Il va la découvrir et il sera son protecteur. C est magnifique et touchant
Anonyme a dit…
Bonsoir Delphine,
Tu as cette capacité à coucher tes sentiments sur le papier à travers des mots si doux... Tô écriture fait du bien à la tete, au coeur, à l'âme. Et je te remercie pour chaque moment passé entre tes lignes...
Merci à toi pour tout cela.
Je vous souhaite toujours et encore plus d'amour à tous.

Laetitia
Anonyme a dit…
Merci pour cet article. Je ne l'avais pas demandé mais je suis heureuse qu'il soit la ;)
La peur d'aimer l'autre plus, le défi de leur donner autant, le temps en moins pour ce premier bébé qui a fait de nous des mamans. Ce premier qui nous a fait découvrir ce que c'est d'aimer, du genre avec un grand À.
Tout ce qui me fait hésiter à en faire un deuxième et puis envisager leur complicité comme tu l'imagines..et se dire que, c'est aussi pour eux qu'on le fait ;) le plus beau des cadeaux ce sont mes soeurs, les trois petites sœurs et je veux qu'il sache, ce que c'est, d'avoir un partenaire pour la vie
😘
Cassouetlesbisous
Drine_q a dit…
Très beau texte comme toujours. On essaye de faire le 2eme et j'avoue que j'angoisse à l'idée que ça se passe mal avec mon petit mec.
Ton article me rassure 😘
Anonyme a dit…
Cet article est très émouvant. A l'âge de 9 ans, on m'a annoncé l'arrivée de ma petite soeur. J'ai été heureuse à pleurer.. Puis finalement, notre lien s'est tissé qu'au moment de mon adolescence. Aujourd'hui, nous sommes comme des jumelles de pourtant presque 10 ans d'écart. Chaque histoire est différente, le rôle de grand frère ou grande soeur s'alimente, s'apprivoise. L'amour est là, le lien du sang. Mais il faut parfois le temps de se comprendre soit même pour aimer autant une personne. Même si ce n'est pas la vérité absolue, ce petit être a partagé en deux le coeur d'une maman et d'un papa qui au début ne battait que pour un enfant. Le jour où j'ai admis que mon coeur battait aussi fort pour eux et même peut être plus pour elle, a changé ma vie. Bien à vous ��
Anne-Sophie a dit…
C'est si bien écrit, comme toujours.
Tes articles respirent le bonheur et la sincérité.
Tu es le genre de maman que je rêverai d'être lorsque j'aurai à mon tour des enfants.
Merci Delphine, ça fait un bien fou de te lire.
Anonyme a dit…
Ce texte semble refléter ton passé, peut être que je me trompe.. en attendant, il est encore une fois magnifique . Quel plaisir de te lire encore et toujours.. Ça m'avait manqué , manon
Unknown a dit…
Absolument sublime, bouleversant. Quel bonheur de lire tes mots, ces moments de vie que tu retranscris si bien... Ils seront heureux de lire tout ça un jour.
Unknown a dit…
Très joli article, j'aime beaucoup ta façon d'écrire et de raconter cette histoire, l'histoire de votre vie.
Et pour rétorquer sur l'aspect "cul cul" (pour certain...), je trouve, au contraire, que tes articles donnent de la beauté et de la légèreté dans ce monde si dur aujourd'hui. C'est tellement agréable de pouvoir s'offrir une petite bulle de douceur à travers tes articles ou tes posts instagram. Merci pour cette douceur, cette beauté et cette légèreté.

Floriane