{Terrible Two} C'est beau quand ça dort, c'est mieux quand ça vit
Ce soir, je savais qu'il bouderait son yaourt alors j'ai doublé sa ration de fromage râpé. Il le mange à la cuillère dans un bol, même sans pâtes, même sans rien. J'en ai mis plein, ça lui fera du calcium, après, au dodo hein, demain y a école.
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Ça fait plusieurs semaines. Il est devenu difficile. Avant, c'était mon bébé doux, il faisait beaucoup de câlins, il était sage, il disait rien. Maintenant ça gueule, ça répond, ça tape dans le vide, et c'est trop déjà.
On est partagés. On pense à Montessori et aux études "qui disent que".
Comprendre l'enfant, lui parler calmement, chercher l'origine de son mal-être, pourquoi est-ce qu'il est devenu insolent. On a trouvé plein de fois, on a répondu par la douceur, ça a réglé le problème sans cri et sans larmes, mais le problème est tout de même revenu, le lendemain, le jour d'après, et le suivant aussi.
On a pensé à la répression, l'éducation à la dure, moi quand j'étais gamine personne ne venait gentiment m'expliquer en se tenant accroupi comment je devais me comporter, j'avais la grosse voix, la crainte de l'autorité et je savais quand je devais la fermer.
Aaron est différent, il s'affirme, il pleure de désespoir, tape des pieds quand on lui refuse un caprice, comment, les caprices pas avant 7 ans, vous êtes sûre, je crois pas, vous l'avez déjà vu après le générique de fin de la Pat patrouille, quand il hurle "veut un aut' !" et qu'avec notre audace on répond non?
Il n'y a pas que des couches à changer et des biberons a donner. Il n'y a pas que les dents et les cauchemars. Pas que la rentrée et l'arrivée de la petite sœur.
Il y a un milliard de raisons différentes possibles, de nuances, de subtilités, de choses à deviner.
C'était si facile. A une époque, il suffisait de bercer le debout. On se plaignait presque de devoir se lever, c'est dingue ça alors, quand on est assis il pleure, et dès qu'on se lève il s'arrête, la flemme, mais bon, pas le choix, allez, debout, et balance-toi.
Je disais que mes enfants seraient comme ci, je disais que je serais une mère comme ça.
J'ai accouché le 1er décembre 2014 et j'ai intégré ce club, celui des gens qui savent. Vous traversez la route, première à gauche, deuxième à droite, sans vous prendre les pieds dans les legos. Vous y êtes. Vous êtes parents. Vous improvisez à partir de maintenant.
Il y a la veilleuse étoile qu'on retrouve allumée alors qu'on l'avait éteinte hier soir, il y a le livre caché sous l'oreiller, on ne dit rien, on fait semblant. Il y a le gruyère râpé qui passe tellement mieux que le yaourt à la poire. Il y a Mana (l'autre nom de Simba) qui dort avec lui tous les soirs. Mana, quand on appuie sur son museau, il se retrouve avec une drôle de tête. C'est lui qui a inventé ce jeu, il me montrait son Mana et il rigolait en me disant qu'il avait une tête de coccinelle. C'est pas tordu, nan, c'est même carrément vrai, je vous promets, il me le fait tous les jours maintenant et je suis d'accord, il a grave une tête de coccinelle. Il y a sa brosse à dent avec un bonhomme qui ressemble à un petit génie. Parfois pour rigoler, on dit qu'il a pas été super sage et on le met au coin. Alors il enfonce la ventouse contre la porcelaine du lavabo, et le place face au mur, comme les génies qui n'ont pas été super sages. "Génie, au coin". Bonne nuit mon poussin.
Il y a ces énormes crises, dont on se passerait bien. Les pleurs parce qu'on a pas collé la gommette de la bonne couleur, le regard noir et la voix autoritaire quand il nous dit quelque chose et qu'on lui affirme le contraire. Il y a beaucoup de désarroi aussi, pour nous, surtout.
On cherche les clés, tous les jours. On change d'avis et de méthode. On lit tout et son contraire. On est perdus et tentés de tout tester, dans le désordre et l'incohérence.
On se rappelle du laisser-pleurer, du 5-10-15. On se dit qu'on est passés au cap supérieur. On sait pas qui écouter, alors on mélange un peu tout, on improvise, encore. On aime, toujours.
C'est la première fois que j'écris un article sans avoir trouver la solution.
Il n'y a pas de solution. Jusqu'à un certain âge, j'étais complètement fan de chacune des nouvelles étapes qu'il franchissait. Son évolution me rendait folle de joie et folle d'amour. Depuis plusieurs semaines, je trouve tout beaucoup plus dur. Je le trouve moins innocent aussi, alors c'est terrible à dire mais c'est devenu plus difficile de ranger ça dans un coin de son cerveau et de se dire allez, on oublie.
Demain il fera sûrement d'autres caprices, peu importe comment vous aimer les appeler.
Demain il faudra à nouveau essayer de lui faire aimer les yaourts à la poire.
Mais demain il y aura son sourire. Mon préféré, vous savez, celui qu'il sait faire juste avec les yeux.
Demain il y aura le son de la dernière blague qu'il a inventée, la caresse de ses bisous maladroits, ses petits bras qui serrent mon cou au moment de dormir, juste avant de me dire "C'est touut" parce qu'à deux ans et 9 mois il a déjà une mère relou.
Il était mon fils hier quand c'était facile et il sera mon fils demain quand ça ira moins bien.
C'est le deal, paraît-il. Ça m'fait mal, hein, en plein coeur. Ça me déchire, me questionne, me contrarie, me chiffonne.
Il est deux heures, je ne dors pas. Je me vais tout éteindre, passer un coup d'éponge sur la table. Je balance sa cuillère en plastique "youge" dans l'évier et ramasse les petits morceaux rescapés de son bol de gruyère râpé. Il dort, et quand c'est calme, tout est plus beau, tout est moins grave. Son gruyère râpé m'attendrit à lui tout seul. Je l'aime tellement ce gosse. Je souris. C'est beau quand ça dort, c'est encore mieux quand ça vit. Il nous a collé des hontes internationales ces derniers-temps, il nous a poussés dans nos retranchements. Mais il me manque, là, maintenant, à deux heures du matin. Je vois le gruyère râpé et je pourrais le réveiller juste pour lui dire que je l'aime. Quand même. Malgré ses roulades par terre et son faux regard noir.
Je sais que je n'ai pas la clé et ça me fait chier. Je me dis que c'est comme les lattes du parquet, un jour je finirais par trouver laquelle fait tout grincer.
Peut-être aussi que la clé n'existe pas, qu'il la fait glisser entre ses doigts.
Jamais je n'abandonnerai. Je suis sa maman, je continuerai de chercher.
Commentaires
Ici on est encore au stade des dents et des nuits presques blanches, mais tes textes sincères et décrivant la suite des étapes m'impatiente!
Merci.
Retrouvé et mon dieu comme c'est bien écrit... Tu as un vrai talent, celui de nous transmettre tes moments de vie, tes émotions avec une touche très personnelle mais dans laquelle on peut totalement s'identifier. Merci pour tes mots... Alexandra
Je n'ai pas l'habitude de laisser des commentaires je ne le fais d'ailleurs jamais sur les blogs!!!
Mais toi tu as un talent fou !!!! Ton écriture est superbe , tu me fais sourire , tu m'émeut ... Ton article est toujours comme "dans la vraie vie" MAis tu rends ça tellement plus beau plus important plus profond !!
J'ai toujours hâte de lire ton prochain article !!!!
Je te souhaite plein de courage pour les jours à venir !!
Et beaucoup d'amour pour cette si jolie famille que vous êtes !!
Merci pour ton temps passé à nous écrire ton histoire
Lucie.H
C'est pas évident, mais on est maman... club privé VIP des plus belles choses au mondes et les plus difficiles aussi...
.....
Ce n'est qu'un passage ♡
Comme d'habitude j'ai hâte de lire un nouve' article sur ton blog. Tu as vraiment du talent.
Passe une jolie journée