Hors de la bulle

Pour la première fois depuis des mois, on a calculé l'heure du coucher. 20h30 max, extinction des feux. On a rangé soigneusement sa chambre, pour qu'il se sente bien. Une petite douche juste avant de dormir, pour être frais. On a préparé les affaires. Son nouveau jean, sa veste préférée, une écharpe, pour le style et pour l'automne qui arrive. Quel sac tu veux ? Un change, une boîte avec des gâteaux, tu sais bien, au cas où tu meurs de faim. Lire T'choupi va à l'école. Éteindre les lumières et laisser la veilleuse étoile. Bonne nuit mon poussin, à demain. 


Demain, tu vas à l'école. 


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On était de bonne humeur et on était a l'heure. On a marché au milieu des feuilles, Neva dans la poussette -elle avait le droit de nous accompagner donc toute la smala a débarqué- David qui a troqué ses baskets pour des souliers "ça fera plus 'papa'", et moi avec mon énorme appareil photo caché dans le sac -je vous rassure finalement je n'ai pas osé le dégainer. 

Il m'a donné la main, tout le long, et venant d'un petit garçon accro à son père, c'était une surprise, c'était fort, c'était déjà mon coeur qui fond. 

On a attendu devant l'école, il a voulu les bras. Parce qu'il a toujours aimé les bras depuis qu'il avait un mois, je l'ai pris et puis je l'ai senti s'enrouler autour de mon cou, comme il ne fait jamais, ou comme il fait seulement quand je réclame. 

10h00, les portes s'ouvrent, les parents s'engouffrent avec des sourires polis et un milliard de pensées dans la tête, bien enfouies. 

Moi je sais bien à quoi vous pensez. J'y pense aussi.
La maternité, les nuits hachées, les premières dents, camilia, le premier fou rire, les moisniversaires, les changements de couches fébriles, les rhumes l'hiver, la fièvre qui ne descend pas et qui nous tient éveillé des heures, l'écouter respirer la nuit, regarde il se tient assis, le quatre pattes, il marche, je pleure, tu as vu ça, il marche, les petits pots, les morceaux, les premières vacances, toutes les fois où il nous a collé la honte au supermarché, les tiroirs qu'il s'est amusé à vider, son premier mot, son premier maman, et puis les jouets balancés, la crise des deux ans, les caprices, les mamans répétés 50 fois d'affilée qui nous font regretter l'époque où il était muet. La peur de la propreté. La joie dégoûtante devant le premier pipi. Toutes les fois où l'on a pleuré d'énervement, de fatigue, de lassitude, d'inquiétude, tous ces moments de bonheur, ces sourires que l'on avait jamais fait avant à personne, qui n'existent que pour eux, depuis à peu près trois ans. 

Tout ça pour se retrouver là, ici, aujourd'hui, à 10h00, sous ce ciel gris, dans une cour d'école, pour assister au tout premier pas de sa scolarité. 

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On fait la queue. Tu as vu, il y a un portemanteau, comme dans le livre de T'choupi, on peut accrocher ta veste si tu veux, attends on va chercher ton étiquette, avec ton double A, sans surprise, tu es le premier, toute ta vie tu as intérêt à être à l'heure, on y avait pas pensé, désolés. 
Il y a la queue, parce que la maîtresse rencontre les élèves un par un au moment d'entrer. On attend sagement, en faisant semblant de ne pas entendre les cris terribles de certains enfants tristes, on fuit le regard désarmé de leur parent, ou au pire, on essaie de leur sourire. Il veut encore les bras. Je ne sais pas combien il pèse, mais à cet instant il est léger comme un plume, moi aussi je veux les bras, sentir mon odeur préférée au monde depuis 33 mois, celle de la naissance de ses cheveux. Couper le son autour de nous, et lui glisser à l'oreille comme on est fiers de lui. Tellement fiers. En lui disant ça, tout remonte, mon visage me picote, mes joues chauffent, ma gorge se serre à triple tour et mes yeux sont remplis, à ras-bord, ça va aller, je tiens le coup, une grande inspiration et les larmes s'évaporent. 

C'est notre tour. J'avoue, j'aurai adoré qu'il réponde simplement à la question "comment tu t'appelles?" ou du moins qu'il ne se cache pas, dos à la maîtresse, dans les jambes de son père quand elle s'est présentée. Il est timide. C'est Aaron. 
Aaron qui a repéré un éléphant rouge qui lui plait bien et qui se tortille jusqu'à ce qu'on lâche sa main pour essayer de l'atteindre.  Une maîtresse qui connaît déjà mille fois tous les enfants, les timides, les bavards, les rigolos, les discrets, les sensibles, les boudeurs. Elle ne nous en tiendra pas rigueur. 
Il y aura la table des "madeleines" (comprendre: la pâte à modeler, en langage Aaron) qui le mettra parfaitement à l'aise. 
Nous, les parents jamais au courant, qui pensaient rester deux heures, à qui on annonce qu'il faudrait quand même partir. Aaron qui nous dit "oui, oui, à tout à l'heure", nous qui nous éternisons deux minutes de plus en discutant avec la maîtresse, Aaron qui n'a plus trop envie de nous laisser partir, le désarroi, la peur, merde, faites qu'il se transforme pas comme les deux petits traumatisés, là-bas au fond, rouges, en larmes, morve partout, bave et sanglots tels qu'ils toussent avant de respirer à nouveau. Et puis là, cadeau du ciel, près de la fenêtre, regarde chéri, une cuisine, on est sauvés, Aaron tu as vu la dînette ? 

Partir, avec son accord, sans larmes, le coeur gonflé de peur, d'amour, et de fierté. 


À midi, les portes se sont ouvertes à nouveau. Je l'ai aperçu derrière la vitre. Sagement assis sur un banc, à côté des petits copains, son doudou Coco à la main. Il nous attend. Je cours un peu. Il me sourit et elle aussi. Ca a été. Un petit coup de mou à la récré parce qu'il avait laissé Coco dans la salle de classe. Sinon très bien, à demain, bonne fin de journée. 

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Quand on est arrivés ce matin, dans la cour, Aaron m'a demandé "C'est ça mon école?".
Ah, mon fils. Ça fait des semaines qu'on en parle et que tu nous ignores, que tu réponds vaguement oui, ne montre aucun signe, aucune réaction. 
Mais tu écoutais. 
Oui, ç'est ca ton école . 
Ici tu vas apprendre des choses extraordinaires. Te faire des amis et rencontrer des moins gentils. Peut-être un jour avoir droit au petit pot de colle avec la spatule, celui qui sent trop bon. Être timide en septembre face à l'inconnu et pleurer en juin le moment de dire au revoir aux copains. 

Je t'ai donné une bulle depuis ta naissance, ici tu vas apprendre la vie. 
Parfois tu auras du chagrin, mais je te promets que tes meilleurs souvenirs seront là aussi. 

Voilà. Aujourd'hui, tu es entré à l'école. Mon grand garçon. 

Alors malgré les réveils toujours trop tôt, malgré les futurs devoirs, malgré les heures de colle... ces découvertes, cet apprentissage, c'est un privilège et un cadeau. L'école est ton amie. 
Et même si elle t'arrache à ma bulle, même si tout à l'heure j'avais les yeux embués... ce premier jour, c'était ma plus grande fierté. 


Commentaires

Unknown a dit…
Très beaux, super bien écrit tu m'as fait pleurer �� Delphine mon petit rentre cette année aussi comme le tient Mais demain bisous ��
Marine a dit…
Tellement bon ton texte! Trop émouvant, je n'ai même pas d'enfants. Les mamans doivent être en larmes lol.
Tu as vraiment un talent, j'adore te lire !
Unknown a dit…
J'ai adoré cet article, on aurait dit nous, fier de sa première rentrée, fier de lui qui n'a pas pleuré, même en voyant les autres en larmes accrochés à leurs parents, pour nous ce fut un bisous, à tt à lheure on revient ne t'en fait pas et surtout amuse toi bien avec tes petits copains..
La maîtresse aussi nous a signalé un petit cou de mou à la récréation apparemmentmais rien de bien méchant. ..
Alors nous, à cha que retour à l'école on est fier de lui et de son courage. ..
BRAVO pour avoir réussi à mettre ses mots sur les sentiments que nous parents on ressent pour sa première rentrée scolaire. ��
Bullles a dit…
Le choix des mots, cette façon de nous raconter toute ces choses... Magnifique. Toujours un plaisir ! 😍😍
Deb a dit…
Bonsoir,

mon fils n'a que 6 mois et demi mais ce post m'a fait trop mal au coeur !
Vous êtes trop courageuses les mamans!
Perso je suis certaine que des que je serai certaine qu'il ne sait plus me voir je resterai en pleurs jusqu'à la sortie haha


Tu écris très/trop bien! C'est un plaisir de te lire (meme si ca me fait flipper bien en avance 😁)
😘
Fany33 a dit…
Très beau texte,comme d'habitude.
Je me suis tellement retrouvée dans la situation.
Mon fils a commencé l'école mard et s'est très bien. Adapte.plus compliqué niveau propreté.
À suivre.