Lourd comme une plume

Il y a le club des gens qui détestent le lundi, parlent en nombre de cafés, et adorent les jours fériés. J'en faisais partie. 
Et puis il y a 6 mois tout a changé. 
J'ai intégré un nouveau club. Celui des mamans à plein temps. Celles qui n'ont ni semaine, ni weekend, celles qui n'ont pas d'horaires, celles pour qui c'est H-24, sans pause clope, ni coupure. Il y a 6 mois j'avais des rêves et des doutes sur la vie du mère au foyer. 
Ce soir est l'un des derniers soirs, alors... il était temps d'en parler. 

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Il m'a cueilli une fleur aujourd'hui. On sortait ensemble de la crèche où l'on avait récupéré Neva et il m'a demandé d'arrêter la poussette quand il a vu des pâquerettes. "Donner une fleur pour maman". Heure de l'explosion du coeur, 12h07. Mon fils a tout arrêté pour m'offrir une pâquerette, et bien sûr, la pâquerette la plus belle du monde. Où est-ce qu'il a vu ça, comment il en a eu l'idée, je ne sais pas, mais ce geste d'amour presque poétique, pour un petit garçon très terre-à-terre, c'est aussi inattendu que bouleversant. Il ressemble à son papa et c'est pas pour rien qu'ils sont comme les deux doigts de la main. Peu démonstratifs mais très sensibles. Entre Aaron et moi, c'est tendre, c'est doux et c'est un amour complexe. Parce que j'ai mis du temps à me sentir légitime, à me sentir vraiment maman. Parce que n'importe qui ferait mieux que moi, tout simplement parce que j'ai peur les gars, l'éternelle question, est-ce qu'il y a vraiment quelque chose à aimer chez moi. Qu'est ce que je vais lui apporter avec ma vie en pointillé et mon vieux coeur tout fissuré ? J'ai mis du temps à me l'avouer et assumer, depuis j'avance, au moins j'essaie, c'est pas complètement guéri, c'est encore là, ça flotte à la surface, toujours prêt à me narguer.
Mais il y a des petits morceaux de vie, comme celui-là, qui arrivent un peu à le noyer. On y travaille dur, avec une tonne d'amour écrasant et des bisous tourbillonnants. Et surtout du temps. Ensemble. Le plus possible, sans ce poison de portable et sans cette insolente horloge qui nous rappelle à l'heure trop souvent. On fait à manger ensemble le soir. Il sent tous les épices et toutes les herbes, au goûter il saupoudre ses pommes de cannelle, il reconnait les patates douces et les oignons rouges, et ça, je me le concède, c'est un peu grâce à moi. Grâce à ses moments qu'on partage. Cette histoire racontée chaque soir, et ces dessins qu'il réclame et que je m'efforce d'esquisser sur son tableau blanc. Nos moments à nous.
Quand mon congé maternité a commencé, j'étais pleine de promesses et de bonne volonté. Je voulais faire une activité différente chaque jour, aller à la piscine et faire ressembler ma vie à un catalogue parfaitement organisé. Fidèle à moi-même, rien ne s'est passé comme prévu dans ma petite tête un peu trop rêveuse. Je n'ai jamais mis un pied à la piscine, la faute à la grossesse, à la flemme, à mon poussin qui préférait mille fois jouer dans sa "chante", à l'heure de la sieste qui tombait mal, bref la faute à la vie et un peu à moi aussi.
Il y a eu des journées sans aucune vraie activité, et avec un peu trop de télé.
Il y a eu des journées avec pâte à modeler le matin, peinture au doigt l'après-midi, et dessin le soir.
Il y a eu des journée dehors à ramasser des feuilles, des cailloux, admirer toutes les statues et passer deux heures à regarder les fontaines. Aucune journée n'a dû se ressembler, et puis Neva est arrivée. Ça a été encore plus compliqué de tout gérer et de réussir à les occuper, alors l'éducation bienveillante je l'ai un peu envoyée bouler, et j'ai fait ce que je fais de mieux : mon possible. Les journées n'étaient pas toujours studieuses ni parfaites, je crains qu'il ait un peu tourné en rond, entre sa mère en pyjama et sa petite soeur encore nourrisson. Il sautait sur son père le soir comme si c'était le Messie et il pleurait le matin en le voyant partir.
Il mis du temps à se faire à l'arrivée de Neva, bébé minuscule qui prenait pourtant tant de place. Il a été colérique et dur parfois. Puis l'école a commencé et il s'est complètement épanoui. Le juste milieu entre sa soif d'apprendre, de découvrir le monde et son petit cocon rassurant à la maison. J'ai pu, l'espace de quelques heures par jour, profiter de Neva comme une enfant unique. Quand le monde tourne autour de son sourire et au rythme de ses biberons. Quand les siestes au bras n'ont plus une telle importance puisque le temps passé avec elle n'a pas d'incidence. Parce que la vie est toujours d'une douce ironie, elle a commencé à s'endormir seule. Je n'avais plus qu'à la regarder sourire aux anges en attendant midi. On passe de moments trop calmes au chaos le plus total quand j'arrive à l'école avec mon cosy de 12 kilos et qu'Aaron me réclame les bras. Alors je jongle, et je parle. Je me dis souvent que l'on ne parle jamais trop à ses enfants. Je prends le temps,  je lui explique, pourquoi j'ai dit oui et pourquoi j'ai dit non. Pourquoi je ne peux pas me couper en deux et pourquoi je fais de mon mieux. Il écoute, ne répond pas toujours, mais il entend, parce que depuis quelques jours, il ne réclame plus mes bras quand je le dépose à l'école avec Neva. Ce matin, il a attrapé ma main et on s'est sourit. A tout à l'heure mon poussin. 
Finalement je crois qu'on a survécu et qu'il a un peu réparé ce coeur en miettes. Je vous ai dit qu'il me cueillait des pâquerettes ?
Il n'y a pas de miracle, les belles choses prennent du temps, il fait des cayesses à sa soeur, parfois des bisous, maintenant ils partagent des bains pendant lesquels on chante Raiponce, Le Roi Lion et Le livre de la jungle comme des abrutis qui reviendraient de Disneyland. On rigole, on fait des blagues, on s'éclabousse, il est peut-être là mon scénario de catalogue raté. Une famille un peu débordée qui joue avec la mousse le soir en chantant faux. 

On entend la clé, c'est papa, il arrive, Aaron se cache au bout de la baignoire avec un immense sourire silencieux et les yeux qui pétillent. Papa passe enfin sa tête à travers la porte. La vie à 4 peut commencer. 
Je dois avouer que c'est ma préférée. 

J'ai des moments avec Neva, j'ai des moments avec Aaron, puis on éteint tout, sauf les veilleuses, et on pousse les portes, cette fois une autre vie entre en scène, la vie à deux. Avec l'Amoureux.
Maintenant que je m'apprête à retourner au travail, j'y pense très fort. Bordel qu'est ce que j'ai aimé passer chaque instant de ma vie entourée d'eux. Je l'ai en moi, il est là, cet amour animal et sauvage, j'ai besoin de les sentir, les avoir près de ma peau, entendre leur voix.
Avoir un enfant de 2 ans à la maison et être enceinte de 6 mois était déjà un beau challenge. Gérer jour et nuit un nourrisson et un grand, sans école, ni crèche, ni halte-garderie, 24 heures sur 24, c'était presque mission impossible. Il a fallu que je dise adieu au ménage et à mes vêtements. Neva a grandi, Aaron a fait sa rentrée à l'école, c'est toujours sportif mais du gâteau comparé à cet été.
Mais ce qui m'a manqué très fort depuis 6 mois, c'est d'avoir un petit bout de vie à moi.
Quand j'ai repris le travail après la naissance d'Aaron, j'étais épuisée. Il se réveillait la nuit à cause des dents, on ne dormait jamais d'une traite, j'avais mes deux heures et demi de RER quotidiens, le bus le soir quand il fait nuit avec mon petit poussin, la pluie, la chancelière, puis le bain, le dîner à faire. J'étais débordée, j'ai perdu plus de kilos que je n'en avais pris enceinte de lui, je courrais partout, mais j'avais quelque chose: du temps pour moi. J'écrivais dans les transports, je regardais les paysages musique à fond dans les oreilles, je pensais à eux, je travaillais, j'étais aussi utile ailleurs. A ma plus grande surprise, je n'ai jamais aussi peu écrit que depuis que je suis maman au foyer. Parce que je ne m'arrête plus jamais. Pas le temps de me recentrer, pas de temps pour mes méditations philosophiques. J'ai appris à imiter les voix des personnages, traduire toutes les expressions parfois très personnelles d'Aaron, reconnaître l'intonation des pleurs de fatigue de Neva, et ranger une chambre en moins de 30 secondes. Mais je n'ai toujours pas appris à écrire en vivant tout ça. J'ai besoin de cette pause, ce moment de recul, hors du temps. Pour parler d'eux.
Je retourne sur le chemin du travail heureuse de parler à d'autres adultes, déterminée à l'idée d'être active et productive hors de chez moi, impatiente d'écrire à nouveau frénétiquement sur l'application Notes de mon téléphone entre Châtelet et la maison.
Soucieuse des longues journées de mes enfants loin de mes chansons. Curieuse de les voir grandir et apprendre sans mon regard. Triste de ne plus passer toutes les heures du jour et de la nuit à sentir comme ils sentent trop bon.

J'ai laissé mon bureau quand j'étais enceinte de 7 mois de ma petite fille que je ne connaissais pas. J'ai enlevé Aaron de la crèche et on ne s'est plus jamais quittés, sauf les trois nuits de la maternité.
J'ai eu le temps de voir les arbres fleurir, vivre quelques semaines de canicule, donner naissance à Neva, apprendre à la connaître par coeur, la voir passer du naissance au 6 mois, couper les cheveux d'Aaron un peu trop court, le voir rentrer en maternelle avec son petit sac sur le dos et parler comme un ado. Le temps est passé un peu trop vite, toutes les feuilles des arbres ont fini par tomber, et même ses cheveux ont déjà repoussé.
Je reviens lundi, avec mon ventre aplati, 2500 photos de plus dans mon portable et le souvenir du parfum de brioche de Neva. J'y reviens maman d'un grand garçon qui va à l'école et connaît Mars, Saturne, la Terre et le Soleil.

Lundi, je serais à nouveau une maman qui boit trop de café au bureau et sourit un peu plus le vendredi.
Je reviens avec 6 mois de souvenirs dans mon sac à main, bien planqués à côté du pass navigo poussiéreux que j'ai retrouvé, enfin. Je clos un chapitre que je n'oublierais jamais.
Je reviens, parmi les trains bondés, mêlée à la triste foule, avec un petit sourire pour eux, Aaron et Neva, mes trésors loins. Je pars le matin quand il fait nuit et froid, mais je reviens, tout à l'heure, vous récupérer au royaume de ceux qui prennent le temps, au royaume de la pâte à modeler, de la motricité et des rhumes.
Je pars mais je reviens. Le coeur lourd comme une plume.


© Ourson Chéri


Commentaires

Mlle Frisette a dit…
Quel boli texte! Je m'y retrouve un peu moi la maman d'un grand bebe en petite section et d'un minuscule bebe de 1 mois ! Je suis en plein dans ces 6 mois, après un mois de septembre assez éprouvant en tant que maman au foyer au gros ventre qui gere sa nouvelle vie de petit ecolier ! Un mois difficile mais tout mon temps pour lui et pour le guider au mieux :)
Maintenant, on se crée doucement notre routine : sortie d'école, bonbon a la boulangerie pour mon grand, biberon a la maison pour mon petit, les jeux qui trainent et les bains chacun son tour... On mange moins sainement, on ne sort plus mais on sait que c'est une parenthèse, riche et unique ♡
Karine a dit…
C'est marrant ... C'est marrant parce que j'ai eu un petit garçon en décembre 2014 et un autre petit garçon en juillet 2017 et c'est marrant parce que je suis en congé parental et que chaque mot que tu écris, tournait déjà dans ma tête ... Le congé parental ? Quelle drôle d'invention ?! J'espère en tout cas que ce ne sera pas le prolongement du congé maternité si dur et si doux à la fois ... Nous on a eu aussi les trois hospitalisations notamment une la veille de la rentrée. Et j'en bave ... Comme tu dis la vie à la maison, la vie avec les enfants ... Mais mon bout de vie à moi ? Envolé ? Je rêve de 2h dans le RER ... À Toulouse ... Bonne reprise Delphine ! Et bons cafés ;)
Chloe a dit…
Quelle belle écriture... toujours un immense plaisir de te lire ... tes mots résonnent tellement en Moi... merci 💙
Sarah a dit…
Magnifique article, comme d'habitude...je dois t'avouer qu'en lisant les premières lignes sur instagram, je me suis"ruée" sur ton blog pour lire ton article...parce que tes mots rassurent tellement Delphine....la maman que je suis est tellement heureuse, mais la femme que j'étais me manque tellement parfois...c'est peut-être idiot, ce n'est certainement pas à faire, mais constater que l'on n'est pas seule à le ressentir et à oser le verbaliser fait un bien fou!!
bon retour à toi dans le monde professionnel!!

Sarah
Anonyme a dit…
Je me repete à chaque fois que je te laisse un commentaire, Mais tes textes sont toujours aussi touchants!
Etre Maman de 2 enfants.. quel joli nouveau job, aussi fatiguant je suppose!
En tout cas, beaucoup de courage pour la reprise, la course du matin Et le bonheur du soir de les retrouver, Mais aussi avoir un peu de temps pour Toi Et ta vie de working-girl.
Bisous
Delphine