Et un jour, une femme

Une princesse. J'étais une petite fille comme ça. Je réclamais des Barbie quand j'avais 3 ans, et je ne voulais porter que des robes qui tournent. Mon fantasme ultime, c'était le jupon à porter en dessous, pour donner du volume. Je me démêlais les cheveux à l'aide d'une élégante brosse en bois et je dormais dans une chemise de nuit brodée, toute blanche et longue jusqu’au pieds. Le chic absolu. A 10 ans maman me surnommait Miss Monde et l’année d’après je découvrais Sophie Thalmann et sa couronne sur TF1. Je découpais toutes les Miss dans Télé 7 jours et je collais chaque candidate dans un petit cahier en suivant l’élection comme l’événement de l'année. J’ai tout de suite parié sur Mareva Galanter et ruiné mes parents en osant même voter par téléphone. A minuit Miss Tahiti était couronnée. J’ai suivi toutes les élections et puis j’ai vieilli, après c’est passé aux mannequins et aux photos. Je suis sensible à la beauté et surtout à la beauté des femmes. A 14 ans, j’ai placardé Natalia Vodianova derrière la porte de ma chambre de bonne et je récupérais les vieux numéros de PHOTO de mon beau-père en conservant dans un classeur les clichés que je préférais. Après j’ai découvert le kitchissime Victoria’s Secret Fashion Show et j'ai adoré. Cette fascination pour la beauté féminine ne m’a jamais quittée. Je savais bien que je ne faisais pas partie de leur groupe, les jolies filles, mais je rêvais d’en être, un jour peut-être. Plus tard. Beaucoup plus tard.



Il y a deux catégories de personnes. Celles qui avaient peur d’aller au collège, et les autres.
Je faisais partie du second groupe. J’ai eu des bagues, en haut et en bas, un appareil dentaire de nuit, et des élastiques pour aller plus vite. J’ai eu des boutons, et "calculatrice" comme surnom. En général c’est balancé comme ça, dans la cour, quand on passe à côté de vous, on vous regarde à peine et puis on lâche le mot très fort comme on cracherait sur vous. On se sent bien con et puis on a honte à ce moment-là. On se charrie beaucoup à l’école. Hé, petite fille, c'est comme ça, fallait le savoir, fallait être armée.
Après, les skyblogs sont arrivés. C’est là qu’on découvre des photos moches publiées sans qu’on le sache. 
Les gens sont méchants, petite fille. Pour quelqu’un comme moi c’était une angoisse permanente, pas seulement pour la photo mais pour les commentaires. J'étais moche et surtout je n'étais pas populaire. C'était presque toujours sur mon nez. Voilà c’est écrit jaune sur mauve, sur le blog de je-ne-sais-plus-qui, c’est sur mon écran, sur celui de tous les autres gens. Et toute la Terre me pointe du doigt en s’esclaffant. Tu rentres de là, et tu rempiles chez toi. Tu brilles, oh la la, c'est fou comme ta peau est grasse, et puis ce jean, bon, faut pas tu grossisses, hein, c'est pile-pile là.
J'imagine que c'est à cette époque que j'ai compris que je ne serai jamais jolie. La Miss Monde pouvait ranger sa belle brosse en bois et son élégante chemise de nuit de l'ancien temps, rien ne sauverait ce visage ingrat.
J'avais plein de peurs. Peur de croiser certaines personnes dans les couloirs, peur de traverser la cour et de passer à côté de ce groupe-là, peur de sortir de chez moi alors que j'habite en face du lycée et constater que c'est l'heure de fin des cours, peur de tomber sur cette classe, celle qui se moque se toi, celle du mec que tu trouves mignon, celle des pestes qui te dévisagent, vous savez, alors qu'elles sont déjà jolies il faut qu’elles se vengent sur les moches, ça leur a pas suffit.

Quand je suis arrivée à Neuilly, c'était la Fashion Week tous les jours. Moi je sortais d'un collège privé où l'on était en blouse et uniforme bleu marine. J'avais peu de fringues, je m'en fichais un peu mais pas eux. A cause d'un pull trop souvent porté, les rumeurs ont couru, on me traitait de crasseuse. J'ai commencé à vouloir beaucoup de fringues et c'est devenu une obsession. Je haïssais ce pantalon beige vieillot. Je me souviens juste d'un pyjama, que j'aimais plus que tout. Je l'étalais pathétiquement sur mon lit le soir avant de dîner, juste pour me remonter le moral. Au moins pour dormir, je serais jolie.
A cette époque là, mes vraies amies m'ont sauvées. Mon refuge. Je leur dois tous mes fous rires. Tu te souviens des coupes de cheveux forcées, Dedel ? Je n'ai jamais eu un visage parfait. Mon nez était le pire de mes traits. Qu’est ce que j’ai prié pour que mes enfants ne l’aient pas. Mais quand j'avais les cheveux courts, c'était un cauchemar. Je n'ai plus jamais coupé mes cheveux chez un coiffeur, je faisais les pointes seule dans ma salle de bains, avec des ciseaux de cuisine. Un jour quand Aaron a eu un an, j'ai voulu conjurer le sort, grandir, me détacher de ce traumatisme. J'ai été jusqu'aux épaules.

Petite fille se tortille sur sa chaise quand passe une pub Biactol et Eau Précieuse. Petite fille a le coeur serré et une boule dans la gorge quand elle passe la porte d'un coiffeur et que le parfum des shampooing et des sèche-cheveux trop chauds l'enveloppe douloureusement. Petite fille retient ses larmes à chaque fin de la Belle au Bois Dormant, quand la maman retrouve sa fille et lui ouvre ses bras en grand. Petite fille a longtemps attendu que quelqu'un la défende, que quelqu'un la protège contre l'injustice, parce qu'elle était incapable de le faire elle-même.
Ça n’a pas toujours été comme ça.
Pendant un temps, elle m’a ouvert les bras comme la maman de la Belle au Bois Dormant. J’ai goûté à cette saveur inédite. Un nectar jamais assez sucré. Le lien mère-fille. Elle l'a scellé à sa façon, avec un tournevis en or de chez Cartier et on a tout recommencé. Tout oublié, tout pardonné. Plus rien n’avait d’importance que ce qu’on était enfin en train de réussir à créer. Elle est si excessive... et comme les gens excessifs, elle m’a soudainement tout donné. Je ne sais pas si j'ai jamais été aussi sereine en m’endormant le soir qu’à cette époque-là. Elle m’a encouragée, adorée, adulée comme si j’étais un trésor précieux qu’elle n’abandonnerait jamais. Elle m’a soutenue aveuglément. Elle m'a tenu la main quand je me suis endormie quelques heures pour effacer cette bosse trop lourde à porter et changer mon visage à jamais.
Avec le temps le rêve s’est effrité, les pour toujours n’ont pas duré. On dit que l'eau coule sous le ponts. Celle-ci gardera un goût trop amer.  
Retour à la case départ. Le cœur en vrac, la tête en miette. 
J'aime les femmes par-dessus tout, leurs manières, leur délicatesse, leurs névroses, leurs tics. Je suis féminine jusqu'au bout de mes complexes et de mes contradictions. Et j'ai un problème avec mes amies. J'ai peur qu'elles m'abandonnent, qu'elles ne m'aiment plus et qu'elles m'oublient. Pour les hommes c'était plus simple. J'ai adoré des garçons qui m'ont aimée très fort et beaucoup choyée. Au bout de quelques temps, je suis toujours partie. Je suis tombée amoureuse du seul qui ne m'a jamais plainte. Il est vraiment nul pour rassurer, si vous saviez. Lui ce qu'il sait faire, c'est motiver. Il ne m'aime pas fragile, il m'aime quand je suis invincible. Il dit qu'au fond, c'est comme ça que je suis, quand j'arrête de me persuader du contraire. Il dit que ma sensibilité est ma force, pas mon fardeau.

Il y a cette petite fille blessée en moi.
Plus je vieillis, plus elle prend de place, ça m’étouffe et ça me glace.
Elle m’affaiblit, me tire vers le bas. 
Je veux que ça change parce que j'aimerais leur épargner cette souffrance, cette peur, ces complexes qui sont parfois bien réels mais qui sont surtout dans notre tête, parce que c'est là que le virus se propage, cette obsession, ce cancer qui ronge et éclabousse trop souvent notre entourage.
Le manque de confiance en soi. 
Demain il fera beau, viens, petite fille on oublie.
Viens, on ne garde que le bon, le souvenir de son sourire, de ses cheveux blonds et du parfum Calèche. Celui de quand j'étais petite. 
Viens, on se rappelle du nectar et c'est à eux qu'on le donne à boire.
Viens, on n'attend pas que les gens nous aiment, on le fait à leur place.
Oui, viens, on s’aime. A la folie. 

Il m'a fallu 10 ans pour comprendre que la revanche, personne ne la prendrait pour moi. Que c'était à nous d'aller la chercher, cette confiance en soi. Pour la première fois depuis 10 ans, j'ai envie de la poursuivre, la planter au sommet, et laisser le drapeau flotter.

Petite fille, sors de là, veux-tu. 
Essuie tes larmes, montre ton plus beau sourire, t’as porté de la ferraille pendant deux ans pour lui. 
On a eux. On a nous. On a tout. 
J'ai trop pleuré, l'autre nuit. Et j'ai décidé.
Toi et moi, on ne fait qu'un, je suis restée la même. 
En sortant, mets ta couronne. Je vais faire de toi une reine. 





Commentaires

Anonyme a dit…
Je suis tellement mais tellement touchée ❤️ J’ai été une enfant bizuté à l’extrême ... enfermé dans les toilettes car trop laide pour « sortir » ... ma maman n’avait pas assez pour me prendre des vêtements à la mode, (te souviens tu de mon histoire ? De ma maman qui même sans un sous allait acheter des crêpes au fromage et installait mes peluches et poupée pour faire comme un repas de fête ) j’ai eu et j’ai encore une fabuleuse maman ... le nectar je le goute toujours ... et ça me rend très triste que tu ne l’ai pas eu assez longtemps ... je suis très impressionnée par ton parcour, ta générosité, et ta beauté aussi belle a l’intérieur qu’à l’extérieur ❤️ Reste la femme forte avec cette fragilité touchante, une maman en diamant, et un modèle pour moi. Merci pour cette article ❤️ Merci pour ta présence ❤️
Manon Rimbaud
Anonyme a dit…
Jolie Delphine je me demandais quelles étaient tes origines si tu en as
Des bisous encore un merveilleux article...
Anonyme a dit…
Tes mots sont magnifiques, j'en ai pleuré, je me retrouve tellement dans cet article. Cette petite fille blessée qu'on garde au fond de nous,et qui malgré les belles choses qui nous arrivent refait surface par moment. J'ai aussi un chéri qui n'est pas très doué pour me réconforter mais bcp plus pour me montrer que notre vie est belle, qu'on est 2 maintenant, qu'il faut sécher les larmes et sourir, profiter de notre vie. Je vous souhaite pleins de belles choses à toi et ta petite famille.
Anonyme a dit…
top Delphine https://www.eleanorandwords.com/
Anonyme a dit…
Tu écris tellement bien, c’est beau, c’est touchant, émouvant... je laisserai des milliers de commentaires et je suis tellement nulle pour écrire que mes phraes n’arrivent pas à y’a hauteur et je n’écris jamais. Mais là je viens de lire tes deux derniers articles (j’avais du retard) et je voulais sincèrement te dire Delphine que tu es belle. Je te trouve belle , tu dégage une féminité, un bonheur, c’est avec une pointe d’envie que des fois je regarde tes photos en me disant « mince elle est tellement belle et naturelle » tu es magnifique !!!!! N’en doute pas , et que la petite fille en prenne conscience , bisous Juliieandiie