Pieds nus sur la terrasse


Ils me manquent. Mes enfants me manquent. Ils m’épuisent et me font sourire. Ils aspirent toute mon énergie et mettent du bien-être à la place. Ça tombe bien, je préfère être heureuse et fatiguée que l’inverse.  
Ils me manquent bordel. Je pense à eux le matin, je pense à eux quand je vois une poussette dans les transports, je pense à eux quand j’hésite à changer le fond d’écran de 17 pouces de mon bureau par la photo la plus cheesy que j’aurai d’eux et que je laisse finalement le paysage qui s'est foutu là par défaut. Il paraît que ça s'appelle la pudeur, je garde ça à l'intérieur. 


J’étais de celles qui se maquillent dans le métro. Pas juste le petit raccord non, le recourbe-cil, le fond de teint, la totale.  Dans tous mes vieux souvenirs, j’étais comme ça. En retard, en bazar, pas coiffée, pieds nus. On regardait Fort Boyard et on m’avait surnommé la Sauvageonne. J’étais bordel bohème et c’est toujours comme ça que je me vois. 
Dans mon souvenir une maman n’était pas bohème. Une maman avait une maison impeccablement rangée et décorée, avec des affaires soigneusement pliées dans chaque tiroir. 

Je porte en moi ce besoin d’avoir un foyer accueillant et cette fatigue constante qui m’habite depuis 3 ans. Le samedi matin, Neva se réveille, toujours la première, c’est l’heure du bib’, Aaron se réveille, toujours enfariné, les éternels coco et tétine dans le bec et les bras. C’est l’heure des pyjamasques, c’est le week-end, il a le droit. Et moi je disparais. Derrière un balai, derrière un tas de fringues pas rangées, derrière le boulot qui m’attend une fois sur trois, derrière tout ce que je dois régler, et qui bizarrement prend le pas sur Aaron et Neva. 

C’est con la vie non? 

Je m’en veux. De ne pas réussir a prioriser. Tout passe avant eux alors qu’ils sont mon monde tout entier. Tu veux jouer ? Oui, va dans ta chambre. Tu veux faire un dessin? Oui, prends les feutres dans le tiroir. Et attends. Deux minutes, maman est occupée. Attends, attends, attends, s’il te plaît. 
Tu es trop lent. Allez, dépêche toi on est en retard. Neva, c’est l’heure de se reposer. 
Je suis une petit chef qui chapeaute sa mini armée d’un coup de baguette sans prendre le temps de vivre. Vous savez... Aller au parc, escalader un toboggan à l'envers. Le laisser jouer avec le sable et accepter de secouer ses sandales dans le vide toutes les 5 minutes pour enlever les grains qui ont osé s’y nicher.  La voir se mettre debout là-bas près du banc, même si c’est sale, même si elle peut se faire mal. Les faire sortir de cette bulle aspirée à grand coup de Dyson. 
Qu’ils soient à pile, en bois, qu’il fassent trop de bruit ou ne marchent qu’une fois sur trois, les jouets ne sont rien s’ils n’y a jamais personne d’autre pour s’amuser avec. Les ingrédients sont réunis, mais il faut de l’amour et du temps pour faire un vrai plat. On va cuisiner ensemble mon poussin c’est promis. Quand je t'écoute vraiment, qu'on se pose et que j'entre dans ton monde, tout est si simple, calme. Plus de drame. Je ne veux pas que vous grandissiez avec la télé en bruit de fond, ni vous féliciter de loin quand vous finissez un puzzle. Je voudrais vous admirer quand vous réfléchissez et voir les étincelles dans vos yeux à la dernière pièce du jeu. 

Je voudrais vous emmener voir un feu d’artifices. Je voudrais retourner à l’aquarium et faire des pique-nique. Je voudrais qu’on fasse des gâteaux ensemble à nouveau. Et qu’on les mange sans se soucier des miettes, de la machine qui vient de sonner et qu’il faut etendre et de la terrasse sur laquelle finalement on est même pas allés après l’école pour faire des bulles parce que c’est l’heure de vous baigner.  Ma fille aura un an la semaine prochaine et il paraît que le plus dur est derrière nous.  Quand elle est entrée dans nos vies toute petite qu’elle était, elle savait faire d’elle une priorité. On se réveille en sursaut au moindre son, on ne se pose pas de question sur la durée de ses biberons. L’objectif c’est elle et qu’elle aille bien. Est-ce triste d’avouer que les choses ont changés? Ils grandissent, acquièrent de l’autonomie et d’un coup c’est comme s’il n’avait plus besoin de nous ? 
On sait bien que non, mais je suis quand même en train de faire la vaisselle pendant qu’il fabrique un camion. Et ma conscience qui hurle, elle pouvait attendre l’heure de la sieste, cette vaisselle, non? 

Parfois j’ai du temps devant moi, parfois je le prends. Je la couche 10 minutes plus tard pour écouter des chansons et danser dans sa chambre. Les garçons nous rejoignent et on reste tous les 4 sous la lumière bleutée de la tortue qui ondule au plafond. La vie est belle, bon sang que c’est bon. Je laisse mon portable loin, quelque part dans l’entrée sur le plat plein de bordel, et puis on va sur la terrasse au soleil, on joue à chat en slalomant entre les tables, , on fait du riz pour Venom, Spider Man et Iron Man, comment, du riz voyons, vous ne connaissez pas, il suffit de mettre du gel douche au fond d’un seau, et arroser à grande eau, la mousse apparait, le riz pardon, et monte, monte, jusqu’à former une immense barbe à papa, voilà, le riz est prêt, à table Captain America! 
Il y a Neva qui n’aime pas marcher à quatre pattes sur le gazon alors elle marche « à la Mowgli », sur les mains et les pieds, couche en l’air. Il y a l’apéro auquel on a pas droit le mari et moi parce qu’on a bouffé trop de MacDo, on trinque avec un bâtonnet de carotte et puis tant pis, c’est la vie. 
Il y a les photos ratées de ces moments bien trop jolis, il faut que je m’y fasse, je n’arriverai pas toujours à capturer ces instants de grâce. Il y en aura d’autres, l’important c’est qu’ils restent gravés là dedans. 

L’important c’est eux. Je veux me souvenir du rire de Neva qui éclate comme des bulles en rafales quand elle est couchée et que je fais tomber sur elle son petit chat Marie. Et des mêmes éclats qui résonnent dans la chambre voisine quand il me crie, hilare, « bonne nuit, maman-pipi! ». 
C’est trop précieux, c’est trop merveilleux, ça passe trop vite, il me sort une perle, je ris, je la note vite, sinon c’est mort je l’oublie.  
Ils m’épuisent et me font sourire. Ils aspirent toute mon énergie et y mettent du bien-être à la place. Ça n’efface pas les cernes mais ça remplit le coeur, ça bouleverse la vie. J’en prends souvent des bonnes résolutions. Sur tout. Le travail, les fringues, vous. Oh j’en ai arrêté trop vite des régimes, moi, je vibre au coup de coeur, je marche à l’émotion, je pense noir, puis blanc, puis rouge passion. 
Mais aujourd’hui je voudrais me faire une promesse. Être toujours là pour vous voir mettre la dernière pièce. 

© Ourson Chéri




Commentaires

Laounjour a dit…
Toujours aussi jolis tes textes... on profite tellement peu de la vie, simplement, pleinement... heureusement que les enfants nous font « un peu » comprendre ça !
Chachou a dit…
Waouhhh comme toujours tes mots résonnent énormément... je me vois tellement dans tes textes et ca fait du bien ... merci !!
Marjorie a dit…
C'est magnifique, tellement vrai j'en suis émue
Marine a dit…
Sublime comme toujours
Amélie a dit…
Zach a eu 3 ans en mars et Cali a eu 5 mois et demi. Je le retrouve tellement dans tes articles ma belle. Et tellement mais tellement dans celui là. La vaisselle du soir pendant qu'ils vont lire l'histoire avant d'aller au lit... Au lieu de profiter de ce beau moment, on prend de l'avance sur le travail pour être tranquille une fois les enfants endormis... Tout est tellement vrai.. encore merci Delphine pour ce talent incroyable qu'est ton écriture. Tout transpire la bonté, la douceur et la gentillesse.

Amélie.
Anonyme a dit…
Très poétique et parlant pr les mamans débordées que nous sommes toutes un peu si,si��
Anonyme a dit…
Très poétique ! Et parlant pour les mamans débordées que nous sommes toutes un peu, beaucoup, à la folie...😁
Carolyne a dit…
Merci milles fois pour ce texte ... la larme à l’oeil ... je me retrouve vraiment j’aimerais tellement laisser ces foutues taches eux qui sont nettement plus important ... la vie passe tellement vite autant en profiter 😍
Anonyme a dit…
Tes mots sont tellement précieux...
Ils illustrent et expriment à la perfection le déchirement que nous vivons toutes, femmes et mamans. Tout n’est que frustration : quand je suis avec mon fils le reste n’avance pas - que cela s’apelle Travail, Ménage, Vaisselle, Lessives ou Sourcils à épiler - Mais lorsque je suis occupée à l’une de ces tâches, je culpabilise de ne pas offrir ce temps à ses jeux, pourtant si précieux...
On n’est pas prévenue. Personne ne nous prévient que devenir maman c’est aussi renoncer à se sentir bien à sa place, à chaque instant. Nous sommes bercées par l’illusion que nous pouvons tout mener de front, à la perfection. Et pourtant, le temps, ce temps qui nous manque tellement, nous rapelle qu’il faut accorder des priorités. Bien sûr La Priorité est la famille, mon fils avec qui je vis seule pour ma part, mais le reste est bien présent, quand même important. Alors comment fait-on? Où est-ce qu’on apprend à tout faire à la fois ET en même temps ?
Merci de si bien nous livrer ton point de vue. Il nous permet de nous sentir moins seules dans cette valse folle...
Tu es épatante, tous tes mots sont justes et frappants de sincérité. Merci de te livrer comme tu le fais. Merci pour ce que tu nous permets de partager.
Lucie a dit…
Magnifique ...
😍😍
Anonyme a dit…
Merveilleuse et radieuse maman que tu es. De si jolis mots et de si belles résolutions 🌸
Touteunevieadecouvrir a dit…
Je me retrouve complètement dans ce que tu dis. Tes mots sont justes et vrais. Moi-même maman de deux merveilleux enfants (6 ans et 1 an et demi), je suis dans la même situation ; où tu es confrontée à cette fatigue, cette maison à entretenir, ce travail qui te prends tes journées, et ce temps qui passe trop vite et où nos enfants grandissent aussi trop vite... Je n'arrive pas à trouver de solution miracle pour améliorer tout ça, si ce n'est de respirer en profondeur et d'essayer de consacrer plus de temps à mes amours et de lâcher cette maison et cette pseudo perfection.