Danser sous la pluie

"La vie, ce n'est pas d'attendre que l'orage passe. C'est d'apprendre à danser sous la pluie".
Sénèque

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Je suis désordonnée. Bordélique. Paresseuse. Mélancolique et survoltée. Volubile et silencieuse. J'aime la passion et les compromis. Je dépense trop. Je ne crois pas en moi, je crois en mes robes.  J'envoie des déclarations enflammées par texto le matin et je m'énerve pour la poubelle le soir.
Il est trop lent, rêvasse, n'écoute pas, oublie. Il chouine. Tout le temps. Si j'arrive avant la fin de son dessin au centre aéré, quand il est enrhumé parce qu'il déteste se moucher, le matin quand il est réveillé trop tôt et le soir quand il n'est pas couché assez tard.
Elle gueule. La poissonnière au visage d'ange. Elle crie quand elle a faim, soif, envie de jouer, envie de tout arracher. Elle colorie les tables et n'a jamais sommeil. Elle vit pour éclabousser la salle de bains et hurler, hurler sans s'arrêter jusqu'au fin fond de nos oreilles.

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Il paraît que tous les parents trouvent beau leur bébé à la maternité. Genre, réflexe naturel : je l'aime, il est beau. Moi j'ai toujours pensé que je saurais si mon bébé est moche ou pas. Même si c'est le mien, c'est pas grave il sera peut-être beau plus tard, mais je le verrais s'il est vraiment vilain. C'est pareil pour le caractère. S'il est chiant. Solitaire. Pleurnichard. Colérique. Lève-tôt. Mangera-t-il de bon appétit, mordra-elle ses copains, sera-t-il leader ou suiveur. Et ainsi va la vie. J'analyse tout, même les miens. Surtout les miens. J'ai l'impression de bien les cerner, de m'émouvoir de leurs qualités et de reconnaître leurs défauts. Peut-être un peu trop ? Je m'inquiète. Je l'ai déjà vu jouer tout seul dans la cour. Est-il trop renfermé ? Aura-t-il des copains ? Je m'voyais déjà en lui, repensant des années plus tôt, aux moqueries, l'embarras, les gens populaires, les autres, ceux qui passent parfois la récré devant la porte de la classe, ceux qui s'enferment aux toilettes pour lire, ceux qui longent les murs et qui ferment très fort leurs oreilles quand ils passent à côté d'un groupe à la langue trop bien pendue. J'ai peur et je le cache, mais ça remonte vite à la surface. Ce genre d'angoisse flotte toujours pas loin, c'est comme des braises, on souffle deux secondes et tout brûle. L'enfer c'est les autres. On voit ce qu'il font, on remet en perspective et sans le savoir, déjà, on met en compétition. On compare, on pèse le pour, le contre, je préfère un enfant énergique moi, c'est tellement plus stimulant, ah il se couche tard le vôtre, moi je ne pourrais pas c'est fatiguant.

Il y en a un qui a toujours cru en moi et qui a laissé une empreinte indélébile sur le chemin de ma vie, même celui qui n'est pas encore écrit. Il me voit belle quand je suis démaquillée et mal coiffée, il me dit que mes cheveux sentent bon et que j'ai sûrement dû faire un shampooing alors que ça fait trois jours, il dit que je suis intelligente et que j'ai une bonne mémoire, que je suis un peu flemmarde mais que si je m'y mets, je fais des étincelles. Celles dans mes yeux, je lui dois sûrement. Papa. Il met les mêmes dans ceux de mes enfants, ils sont beaux, observateurs, ils ont du caractère, c'est bien selon lui. C'est important dans la vie. Pas de savoir ce qu'on veut, mais savoir ce qu'on ne veut pas. C'est un grand pas. Nos défauts, il les sait, il les voit et il s'en fiche. Ils font parti de nous, du décor, oui t'as un sale caractère et l'eau ça mouille, qu'est-ce que tu veux que je te dise, tu es comme ça, tu es ma fille.
Accepte, et va de l'avant. Je l'ai vu triste, mais vous savez quoi ? Il me l'a montré toute sa vie, le roseau plie mais rompt pas.

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Aaron sait écrire son prénom, avec le N à l'envers. Il connait les saisons et aime dessiner, colorier, écouter de la musique et regarder par la fenêtre dans la voiture, encore plus quand elle est ouverte. Il réclame "est-ce qu'on peut mettre le vent ?". Il ne se pose plus beaucoup sur le plan de travail pour me voir préparer à manger mais me dit ce qui lui ferait plaisir. J'aime ces cils trop longs qui lui caressent les joues quand il dort, j'aime sa façon de réclamer son coco quand il a besoin de se calmer. J'admire sa détermination quand il nous a annoncé il y a 4 jours qu'il abandonnait la tétine même pour dormir et l'a cachée dans une boîte pour ne plus jamais la réclamer. Il a mis du temps à s'intéresser à sa petite soeur et maintenant il l'embrasse chaque soir avant de dormir dans son lit. On le porte comme Superman, en planche, et il vole au-dessus d'elle, hilare. Il l'embrasse, elle rit, il lui dit que c'est l'heure de dormir, elle pleure, on le repose par terre, parfois elle s'arrête, parfois elle crie quand on sort. D'autres enfants avaient sûrement lâché leur tétine avant. D'autres jouent avec les copains, ne sont pas timide et ne chouinent pas. D'autres bébés s'endorment peut-être du premier coup et ne se réveillent pas la nuit pour leur doudou. Certains ont droit aux grasses mat' le week-end. Des mamans racontent plus d'histoires, des papas pensent à innover dans leurs plats tous les soirs.
Mais j'ai compris qu'on n'avancerait pas en s'amusant à déceler toutes les failles qu'ils portent déjà un peu en eux. Les transformer en force, peut-être, serait un plan B un peu mieux ?

Je les aime avec leur défauts énormes, leurs qualités encore plus grandes, leurs 1001 facettes, tout ce qui fait d'eux, eux. C'est ça que je veux. J'aime les gens différents, les lubies, les tocs, les manies. J'adore savoir quand quelqu'un met un sucre et demi dans son café et qu'il mange tiède. Qu'elle éternue toujours deux fois de suite et qu'elle n'aime pas sentir le sable crisser sous ses doigts.
Aaron est parfait, avec sa manie de prendre un doudou différent par jour à l’école à défaut de prendre Coco. Et de danser avec Coco le soir en rentrant quand on met la musique à fond et qu’on oublie qu’on est des parents. Il est parfait quand il se déhanche maladroitement, en se regardant dans le miroir, et qu’il me demande de lui attacher les cheveux pour faire la même coupe que Maui. Je rassemble ses boucles trop courtes, j'attache le tout avec un chouchou moche de ma collection, il est ravi, s'admire, fier comme un pape, et se prend pour un demi-dieu hawaïen jusqu'à ce que les boucles s'échappent. Il est parfait parce qu’il ne ressemble à personne et qu’il est devenu mon exception.
Elle est parfaite parce qu’elle dit téti pour tétine, qu'elle fait la moue, beaucoup, et refuse de dormir entre nous deux. Elle hurle quand la cuillère ne va pas assez vite et décide du jour au lendemain de manger des morceaux avec deux dents et demi. Elle est parfaite quand elle se balade dans la maison avec un petit sac au bras comme une vraie petite dame et nous regarde droit de ses yeux de glace en affirmant le plus sérieusement du monde "kokoi ? kéki". Elle est parfaite quand elle éclate de rire avec sa voix cassée et son cou qui sent tellement bon que j’ai envie de le manger.

Ils sont parfaits, le jour et la nuit, dans la détresse et la joie, la santé et la maladie.
Je l’ai peut être oublié parfois, quand mes oreilles saignaient et que mon coeur se serrait. Je ne les ai pas choisi, mais eux, oui. Je suis persuadée qu'ils nous ont choisi. Leurs défauts n'en seront plus, on apprendra ensemble. On va les dompter. S'adapter. Plus d'angoisses, plus de peurs irrationnelles, plus de fardeau du passé à leur faire porter. Juste les aimer comme ils sont, avec leurs lubies, leurs tocs, et leurs manies.
Parce qu'ils sont ma chair, mon sang, l’air que je respire, les frissons sur mes bras et le coeur qui bondit dans ma poitrine. C’est primitif, animal, brut, sauvage, agressif, cet amour n'a pas de direction, il inonde tout, se déploie dans mes veines et se répand autour de moi, c’est plus fort que la vie et plus beau que l'espoir, ça me réveille le matin et ça m'endort le soir.
Tout ce que vous m'apprenez chaque jour, tout ce que je sais par coeur de vous. Surtout n'en doutez jamais, je l'aime. J'en aime absolument tout.


© Ourson Chéri



Commentaires

Anonyme a dit…
Je suis maman depuis bientôt 6 mois. Les 3 premiers mois ont été durs, éprouvants. Je me suis dis que peut être finalement c’etait Trop tôt, que je n’etais Pas prête, que je n’y arriverai pas. Mais chaque jour, malgré mes pleurs, mes angoisses, mes doutes, quelque chose m’a fait me surpasser. J’ai appris l’amour. L’amour pour son enfant. L’amour inconditionnel, l’amour qui ne s’explique pas. Il m’a donné confiance en moi. Aujourd’hui j’ai appris à connaître mon fils et j’ai la certitude que je soulèverai des montagnes pour lui. Je serais son épaule pour pleurer, sa main pour le relever. Seule une maman peut comprendre ceci. Alors merci d’avoir mis des mots sur ce que je ressens. Margaux
Christelle a dit…
Comme chaque article, quel plaisir de te lire ! Ces mots sont tellement justes et poignants. J'attend toujours tes articles avec impatience :)
Julie a dit…
J’adore ton texte, ton style, la façon dont tu mets les mots sur les émotions. Tu as beaucoup de talent, merci et surtout continue !
Anonyme a dit…
Merci pour cet article. C’est tellement vrai ....
Marjo a dit…
Bravo, cedt tellement juste et si bien écrit.
Sa me donne du baume au coeur.
Merci pour ce que tu écrit.
Bise Marjorie.
Marina a dit…
Wahou quelle déclaration magnifique !
Toujours un plaisir de te lire :)
Marjo a dit…
Bravo, c'est tellement juste et si bien écrit, cela fait du bien de te lire. Merci
Bise.
Marjorie
Eleanor a dit…
Nos défauts nous définissent très beau texte Delphine comme toujours
https://www.eleanorandwords.com/

:-)
Anonyme a dit…
Un texte sublime ... jeune maman depuis un mois et demi, les débuts ont été rudes : la peur me rongeait , une peur irrationnelle amplifiait par les mamans « parfaites » des réseaux sociaux / l’amie qui a un fils qui fait ses nuits/ne pleure jamais .. et puis un matin en se réveillant on lit cet article et on se dit que finalement notre fille est parfaite pour nous, qu’on l’aime et l’aimera comme on na jamais aimé :)
clemence a dit…
et ainsi va la vie ... on se reconnait tellement dans ces émotions, ces doutes, ces moments de bonheur. Ai je-bien fait ? suis-je une bonne mère ? comment nous décriront-ils plus tard ??? Merci pour ce beau moment de lecture, quel plaisir de savoir qu'on est pas seule à avoir ces lubies, ces manies, ces angoisses !!!
Lounael-s a dit…
"C'est plus fort que la vie et plus beau que l'espoir ". Delphine tu m'émeus chaque fois aux larmes. Merci pour ta plume si juste et douce 💙
Unknown a dit…
Tellement vrai et beau ❤❤❤ jules, Leonie même si je n'aurais pas d'aussi beau mots pour vous le dire je vous aime plus que tout ...
Anonyme a dit…
Je ne pensais pas que devenir maman était aussi éprouvant les premiers mois. J’eleve seule mon fils qui a deux mois et demi. J’aimerais être une maman différente de celle que je suis, celle qui ne s’enerve pas quand bébé pleure et que je n’arriv Repas à le calmer et que je culpabilise de se sentiment de colère qui m’enva et que je n’arrive pas à dompter ... Quand je te lis j’ai l’impression que tout est parfait. Ton article sans le bonbon, l’enfance et tous les souvenirs qui viennent avec. Ça me donne également encore plus envie de me surpasser pour mon fils. Même si je le fais déjà tous les jours. J’aime chaque parties de son petit corps. Sentir ses petits doigts agripper mes mains lorsque je lui donne le biberon. Dans ton articles tu me fais un peu penser à moi à ta façon de d’ecrire les choses, notre vécu, notre quotidien entre les couches les biberons et les galères à faire dormir bébé. A être trop énerver fatigue on ne profite plus de l’instant présent. Et je pense que maintenant je vais plus y prêter attention. Même si je lui répète sans cesse que c’est l’amour de ma vie et que je l’aime tres fort. J’te promets de ne plus m’enerver quand mon fils pleure même si je suis seule à l’eleve. Tu me donnes envie d’etre une meilleure maman. Celle qui est le plus important dans la vie d’un enfant. En tout cas continue de faire vivre ton blog et ton compte insta comme tu le fais. Car même si je suis dans l’ombre j’apprecie te lire tous les jours 😉

Ludivine.
Julie a dit…
Toujours un plaisir de te lire tu as vraiment les mots merci ma belle