Parce que c'est beau

Il fut un temps où je me plaignais de ma fatigue quand mes heures de sommeil étaient inférieures à 7. Je trouvais éreintant de rentrer d’une journée de travail et de devoir se faire cuire un bol de pâtes. Je passais des week-ends entiers enfermée en pyjama, à regarder le Seigneur des Anneaux pour "récupérer" de mes semaines ridiculement oisives. Et puis j’ai eu deux enfants. 4 ans, 18 mois, je m'endors devant Netflix et je ne m'en aperçois même pas.


On m’a demandé ce qui changeait, comment on s’y était pris, si ça allait.
Ma réponse la plus simple: je vis dans le chaos le plus exquis. Voilà. C’est le bordel, ma tête est comme un compteur, la charge mentale a enfin un nom et je l’ai étiqueté sur mon front. Je suis fatiguée est un euphémisme, je suis épuisée, lessivée, j’ai l’impression qu’un bus m’est passé dessus le soir quand je pousse la porte de leur chambre. Mais je vois les vagues bleues de la veilleuse et les étoiles au plafond, et malgré le chaos, je suis soudain envahie d’un sentiment de plénitude que je n’ai jamais connu auparavant, juste de les avoir vu heureux et souriant. 

Pour moi le jour se lève à 5h45, mais je ferme souvent les yeux trop forts pour le suivre. Je suis une maman qui travaille et tous les jours c'est aux aurores que je prends ma souris, armée du café le plus corsé. Quand je m’en vais à 16h30, c’est pour attaquer la course morne des transports en commun et des enfants à récupérer. Il fera nuit et il sera presque 18h30 quand on passera la porte de chez nous avec idéalement un temps pour jouer, non, pas les lego Aaron, Neva pourrait les avaler, pas les coloriages, Neva risque encore de s’attaquer au canapé, tiens c’est l’heure du bain, qu’est ce qu’on dîne, il faut qu’on coupe les ongles, attends je prépare les tenues pour demain matin, à table, tu veux un yaourt, ah, du fromage alors, un fruit, une compote, rien, pourquoi t’as plus faim, un gâteau, ah non pas un gâteau! Brossage de dent, toilette, pyjama, chaque étape dure parfois une éternité pour nos âmes impatientes, une histoire, ou quatre, peut-être une chanson, c’est notre nouveau rituel ça, une chanson chaque soir, maman a essayé de refourguer sa BO de Lost In Translation sans grand succès, alors on a essayé Sade, ça marche bien Sade, By Your Side et ça tombe bien, je ne vous laisserai jamais tomber vous savez. Ils ne demandent pas grand'chose au fond, juste notre attention. Ils ne sont pas si difficiles, ils ont besoin de nous. Ils ne manquent pas de sagesse, ils sont merveilleusement curieux. Nous sommes adultes et on veut toujours aller trop vite. Ils sont enfants et tout ce dont ils ont besoin c’est notre temps. Pas de pyjamasques, pas de déguisements, pas de poupées ni de méchant. Juste notre regard.

Je suis une femme qui carbure à l’émotion, c’est mon truc, ma faille et ma force, je ne vis pas les choses, je les ressens, ça me tord le bide et m’explose le cœur. Il faut bien s’accrocher, c’est une montagne russe perpétuelle, un dédale de sentiment, et je m'y perds souvent. Je ne me suis jamais posée la question de faire un deuxième en termes d’organisation, je savais juste qu’on était prêts, qu’on le voulait. L’avantage quand on vit comme ça, c’est qu’on s’adapte, on ne se laisse pas le choix. La chance nous a sourit.  On a eu une place en crèche. On a adapté nos horaires, on a quand même été à découvert, mais il y a plus d’amour dans cette maison que n’importe où dans l’univers. Parfois ils sont malades et les nuits sont un tunnel sans fin où nos heures de sommeil se comptent largement sur une main. C’est ça le plus dur. La nuit quand on craque et que des larmes silencieuses coulent en nous brûlant les joues. Et puis l’aube. Tout s’arrange. Double ration de jus d’orange. Et quand ils se mettent à rire, ensemble. Il la chatouille, elle lui pince le nez, il crie, elle rigole, je vais faire le ménage qui traîne depuis trop longtemps et je les entend de loin, c’est vrai que c'est dur, mais quand ils s’aiment, leurs rires pèsent dix tonnes, ils annulent le manque de sommeil, font disparaître la pile de linge, et rangent leur chambre en bordel. Je manque toujours d’énergie. Parfois dans le métro en rentrant, je pense à tout ce qui m’attend. La fatigue m’accable. Je suis découragée. Et puis je fais. Une chose à la fois. Parfois j’ai envie de silence et je leur dis, trop fort. C’est injuste, souvent ça sort quand il me montrait son jouet ou un dessin. La culpabilité m’étreint et j’efface tout en le prenant dans mes bras. Ils rient et s’enfuient. Les enfants sont géniaux, ils ne nous en veulent pas. Jamais.
Mon meilleur côté prend le dessus et du recul. Tant pis pour l’heure, tant pis pour la moitié de l'assiette qui est déjà renversée par terre. Je préfère vous admirer, c’est comme ça que je vis le mieux. On met la musique à fond et on danse. Vous êtes jaloux, vous voulez tous les deux les bras. Et tourner. On monte le volume, et on tourne. Comme vous voudrez. 

Un c’est comme un, deux c’est comme dix. J’ai entendu ça et depuis que Neva est là je sais comme c’est vrai. Dix fois plus de chaussettes perdues, de miettes sous la table, de vêtements à repasser, de nez à moucher, de jouets sur lesquels marcher la nuit en retenant un cri. Dix fois plus de raisons d’aimer et d’espérer. Dix fois plus de tournée dans les chambres le soir quand ils dorment profondément. Dix fois plus de sentiments quand je passe embrasser vos cheveux et m’engouffrer dans votre odeur unique, qui m’enveloppe et m’ensorcelle pour toujours. Dix fois plus de chance de tourbillonner dans votre pays merveilleux où les crocodiles parlent et les balais se passent tous seuls. Votre monde est le plus vrai, le plus authentique, le plus magique. Il n’existe que dans vos rêves et vous leur donnez vie chaque matin quand vous nous parlez, au petit-déjeuner quand vous parlez comme des moulins. 
Aaron a tout bouleversé et Neva encore plus. Le sommeil ne m’a jamais autant manqué, mon congel' est plein à craquer et la pile de linge n’est jamais complètement vide. Ce qui était déjà dur avec un, l’est encore plus avec deux. Mais l’amour surtout s’est multiplié. C’est doux, c’est irréel, c’est trop beau pour être vrai.  Oui, ça a tout changé. Non, je ne sais toujours pas comment on s'y prend. Mais je sais que l'on va bien. Très bien.
Je les vois ensemble et je sais que je n’en aurais jamais assez. 
Ce miracle porte un nom: la fraternité.






Commentaires

Morgane a dit…
Que tes mots sont justes...
Je pense exactement comme toi mais certains soirs comme ce soir je peux l'oublier tant les choses sont parfois compliquées. Alors merci de nous rappeler l'essentiel. Merci pour tes mots. J'ai encore eu les larmes aux yeux comme a chaque fois que tu écris.
Tu as un vrai talent, une profondeur...
Merci
Audrey a dit…
Magnifique comme toujours!
Julie a dit…
Mais quel magnifique article ! Toujours un plaisir de te lire et tes lignes me touche tellement je suis aussi maman et c'est tellement vrai et réaliste ce que tu dit merci ppur cet article Delphine
Anonyme a dit…
Juste sublime, tellement vrai et encore p’us Quand ils sont trois 😍 merci pour ce texte!!
Cidalina a dit…
C'est juste magnifique. J'ai exactement la même routine que toi (boulot, transport, région parisienne quoi) et je suis lessivé tout les soirs. Ma fille a 2 ans et justement les conversations sur le deuxième arrivent peu à peu. L'idée me plaît mais ou trouvé plus d'énergie plus de temps alors qu'il est déjà si peu pour une. Ton message est sincère ça sera dure avec 2 mais on le fera comment on ne sait pas mais on n'y arrivera. Mais j'ai si peur... Merci pour ton récit sincère réelle et au final encouragent malgré tout.
Celine a dit…
Rarement aussi touchée par un post, Bravo !!
BERTOLINO Marine a dit…
Un réel bonheur de lire ce nouvel article.
Je ne m'en lasserai jamais. Merci à toi.
Sarah a dit…
Quel post magnifique !Chapeau bas pour cette belle philosophie et cette franchise.
Virginie a dit…
Adorablement bien écrit et très touchant.
Jordana a dit…
Cet article est le premier que je découvre je ne connaissais pas du tout et je t’en remercie de m’av Rappeler toutes ces beautés merveilleuse