Donne couche, taille 5

Vous avez vu comme le soleil brille ? C’est un beau jour pour accoucher non? Le 4 juillet c’est la saint Florent, vous savez que mon père s’appelle Florent ? Oui j’ai beaucoup de contractions mais je fais tout le temps du faux travail alors vous savez je n’ose plus m’emballer. Que dites-vous ? Cette fois c’est bon elle va arriver ? C’est par la, la salle de naissance ? L’attraper ? Je peux ? Vraiment ? 
Je t’aime mon bébé. Pourquoi es-tu si belle ? M’avait-on prévenu que l’amour se multipliait ? Comment se fait-il que je devine déjà que tes yeux seront bleus ? Est-il humain de sentir aussi bon? Est-il possible que des adultes si imparfaits puissent créer un etre aussi pur ? Pourquoi es-tu si douce ? As-tu idée de l’état de transe dans lequel ton premier sourire me plonge ? 
Pourquoi souffle-t-on ta bougie alors que tu es née hier ? Est-ce normal que tes cheveux poussent aussi lentement et me prive du rêve de toute une vie de te faire des tresses ? Qu’est ce qu’on ressent quand on marche pour la première fois, dis moi? Et les adultes, ont-ils l’air bête ? Seras-tu heureuse quand tu seras grande ? Le monde te paraîtra t’il un peu joli ? M’en voudras tu pour les sacs plastiques et les tortues asphyxiées ? 
Pourquoi une seconde est passée, c’est déjà l’été, et il y a une putain de deuxième bougie sur ton gâteau ? T’es où, mon bébé chat ? Sais-tu que le week-end on peut se réveiller après 7h00 ? Pourquoi veux-tu déjà aller à l’école ? M’aimes-tu ? A quoi ressemble l’amour dans un coeur tout neuf, comme le tien? Sais-tu comme j’ai peur qu’on te l’abîme un jour, ce petit coeur ? Crois-tu au père noël ou fais-tu semblant juste pour les cadeaux ? 
Es-tu sûre de vouloir dormir en culotte cette nuit ? Bonjour bébé chat, sais-tu comme je suis fière de toi ? Mais qu’est-ce qu’on va en faire du tas de couches taille 5 qui nous reste sur les bras ? Y a-tu songé ? Et les sacs de coton ? Et le liniment ? Et les fois où tu étais allongée sur la table à langer et que j’en profitais pour chanter des chansons en te chatouillant les épaules, comment vais-je m’en passer ? Et cette table à langer d’ailleurs, qu’est ce qu’on va en faire ? Ce matelas qui était deux fois plus petit que toi ? 
Te souviens-tu comme je te dévorais de bisous quand nous sommes revenues de la maternité et que j’admirais ton petit corps qui s’y tortillait ? Te rappelles-tu dans un recoin de ta mémoire sensorielle du temps que nous passions ici à te laver, te crémer, t’habiller avec des bodies (cache-coeur de préférence) et te moucher le nez à coup de sérum phy ? Vois-tu comme tes jambes balancent dans le vide maintenant? 
Et les culottes, il faudra en acheter ? Des étoiles dis-tu ? Va pour les étoiles. Et mon bébé alors ? Ou est-il ? Comment ? A l’école ? C’est donc ça ? Hier tu es née et aujourd’hui je n’ai plus besoin de table à langer. Plus besoin de poussette non plus puisque tu veux toujours marcher. Plus de couche. Des culottes et des pots. 
Oui, c’est toi qui tire la chasse, je sais. Une fois seulement. Ce n’est pas un jeu tu sais. Tout ça est très sérieux jeune fille. Pourquoi les gens ont-ils toujours raison ? Avais-je tort de lever les yeux au ciel quand ils me disaient de profiter ? Pourquoi le temps s’écoule différemment quand vous êtes là ? Pourriez-vous m’expliquer l’extreme lenteur à laquelle mon adolescence s’est étirée ? Pourquoi je cligne des yeux, et j’ai 30 ans, et j'ai des enfants grands ? Est-il tristement banal de dire que ça passe trop vite ? Cela a-t-il à voir avec le bonheur ? 
La joie est une traîtresse. Hier vous êtes nés et vous étiez mes bébés. Le jour s’est levé et me voila maman, d’enfants. 
Que dis tu ? Une grande fille. Oui l’école. Et après ? Le collège tant qu’on y est. Bravo Neva. Tu colles une gommette ? Oui c’est toi qui tire la chasse. Une seule fois, Neva. Laisse-moi te regarder un instant. Laisse-moi reprendre mon souffle. Tu es belle. Tu es tellement belle. 
Comment ? Les culottes étoile ? Oui. 
Demain, on ira, c'est promis.